Publié le , rédigé par Me Delphine André
La question du contrôle de la durée du travail émerge notamment en cas de litige relatif aux heures supplémentaires. Or, la note peut s’avérer « salée » pour les entreprises qui n’auraient pas pris les précautions élémentaires en la matière.
Rappelons au préalable, que tout salarié, quel que soit son statut (cadre ou non cadre), ses fonctions (poste fixe ou itinérant), ses conditions d’emploi (travail en présentiel ou télétravail) ou son niveau de rémunération, est soumis à un décompte en heures et à un contrôle de son temps de travail sauf (et sous conditions), s’il relève du régime du forfait annuel en jours ou s’il est cadre dirigeant.
Règle n° 1 : l’employeur a l’obligation de tenir un décompte du temps de travail du salarié qui n’est pas soumis à un horaire collectif
Être soumis à un horaire collectif implique de suivre le même horaire (même heure de début et même heure de fin dans la journée) que ses collègues au sein de l’entreprise, de son service, son atelier ou son équipe. L’horaire collectif établi, affiché et signé par l’employeur indique les heures auxquelles commence et finit chaque période de travail, ainsi que les heures et la durée du repos. Un double de cet horaire collectif et de ses rectifications éventuelles doit par ailleurs être transmis préalablement à l’inspection du travail.
En dehors de cette hypothèse, dès lors que les salariés ont des horaires individualisés ou différenciés, l’employeur doit établir les documents nécessaires au décompte de la durée du travail, des repos compensateurs acquis le cas échéant, et de leur prise effective, pour chacun d’eux.
Ce contrôle du temps de travail est indispensable à bien des égards. Il permet en premier lieu à l’employeur de vérifier que le salarié respecte ses horaires de travail et de contenir d’éventuelles dérives. Outil de prévention des risques professionnels, il permet en deuxième lieu de s’assurer du respect des plafonds quotidien et hebdomadaire de durée travaillée et des temps de repos dont doit bénéficier le salarié. Il facilite en troisième lieu la preuve du temps travaillé en cas de litige relatif aux heures supplémentaires notamment.
Aucune modalité de décompte n’est imposée : il peut s’agir d’un décompte manuel ou autodéclaratif (transmis à l’employeur) ou d’un système d’enregistrement automatique (pointeuse), mais dans ce dernier cas, il doit, selon les textes, être « fiable et infalsifiable ».
Le mode de contrôle doit être conforme aux prescriptions du Règlement général pour la protection des données (RGPD).
À titre d’exemple, pour les salariés itinérants, il a été jugé qu’un système de géolocalisation du véhicule professionnel utilisé pour le suivi du temps de travail n’est licite que s’il n’existe pas d’autre moyen de contrôle et que si le salarié a été informé de la finalité du dispositif (Cass. Soc., 6 septembre 2023, n° 22-12.418).
En tout état de cause, le procédé choisi doit prévoir un décompte quotidien des heures de début et de fin de chaque période de travail ou du nombre d’heures accomplies mais également un récapitulatif hebdomadaire.
Le comité social et économique a accès aux documents nécessaires au décompte de la durée du travail et aux repos compensateurs acquis et pris pour chaque salarié concerné.
L’employeur doit en outre tenir à la disposition de l’inspecteur du travail les documents permettant de comptabiliser le temps de travail accompli par chaque salarié pendant une durée d’un an.
Il est toutefois vivement recommandé de conserver ces documents pendant cinq ans minimum au regard des règles de conservation des bulletins de paie (cinq ans) et de la prescription afférente aux demandes de rappel de salaire (trois ans).
Règle n° 2 : en cas de litige relatif à la durée effective de travail, le régime de la preuve est dit « partagé »
Ainsi le salarié n’a-t-il pas à prouver qu’il a effectué des heures supplémentaires. Il est seulement tenu de produire au juge des « éléments suffisamment précis quant aux heures non rémunérées qu’il prétend avoir accomplies » (Cass. Soc., 18 mars 2020, n° 18-10.919). Face à ces éléments, l’employeur doit être en mesure de justifier des horaires effectivement réalisés. Le juge forme alors sa conviction en fonction de l’ensemble des éléments produits par les parties.
Or, la jurisprudence actuelle est particulièrement favorable au salarié. En effet, un simple décompte manuscrit ou informatisé, même établi a posteriori dans le cadre d’un contentieux, se limitant à mentionner un nombre d’heures travaillées par jour, voire par semaine sans le détail des horaires, ni des temps de pause journaliers, est considéré comme un commencement de preuve suffisamment précis. En d’autres termes, un simple déclaratif émanant du salarié a une valeur juridique. Et si l’employeur n’a pas instauré de système de contrôle des horaires du salarié, il sera en difficulté.
Oublions, à ce titre, les arguments qui risquent de ne pas convaincre les juges tels que « j’accorde de la souplesse à mon salarié pour organiser son emploi du temps » ou « je n’ai pas demandé de faire des heures supplémentaires » ou bien encore, « mon salarié perçoit une rémunération (élevée) “forfaitaire” qui couvre l’intégralité de son temps de travail ».
Une fois ces principes posés, que reste-t-il à l’employeur pour se défendre ? Même en l’absence de mise en place d’un système de contrôle du temps de travail « objectif, fiable et accessible » (selon la formule retenue par la CJUE), l’employeur conserve le droit de discuter de la réalité des heures supplémentaires.
Selon la Cour de cassation, il peut en effet « soumettre au débat contradictoire tout élément de droit, de fait et de preuve, quant à l’existence ou au nombre d’heures de travail accomplies » (Cass. Soc., 7 février 2024, n° 22-15.842). Il s’agira, par exemple, d’un cahier manuscrit de relevés d’heures établi par l’employeur ou de témoignages.
Règle n° 3 : le salarié au forfait annuel en jours n’échappe pas à un contrôle de son temps de travail
Le salarié est certes exclu des règles du décompte en heures de son temps de travail, mais à condition que le forfait soit valable et régulièrement mis en œuvre.
Pour être valable, le forfait jours doit reposer sur un support conventionnel (accord collectif de branche ou d’entreprise), lui-même valide, et faire l’objet d’un accord exprès écrit du salarié (signature d’une clause individuelle de forfait).
Pour être régulier, la mise en œuvre du forfait doit s’accompagner d’un suivi effectif et régulier de la charge de travail, l’employeur devant, dans ce cadre, s’assurer par ailleurs que le droit à déconnexion du salarié est respecté.
Dans la pratique, ce suivi passe obligatoirement, a minima, par un décompte mensuel des jours travaillés et non travaillés, ainsi que par au moins un entretien annuel avec le salarié, dédié au suivi de sa charge de travail, à l’organisation du travail, à l’articulation entre sa vie personnelle et professionnelle et à sa rémunération. Le contenu de cet entretien doit être formalisé par un écrit.
Si le forfait-jours n’est pas valable ou s’il n’a pas fait l’objet d’un suivi de la charge de travail, le salarié peut alors prétendre à un décompte en heures de son temps de travail et au paiement, le cas échéant, des heures supplémentaires qu’il a effectuées.
Dans tous les cas de figure, en cas de contentieux, indépendamment de la demande de paiement des heures supplémentaires, le salarié peut notamment, sans avoir à démontrer un quelconque préjudice, réclamer, le cas échéant, des dommages et intérêts pour dépassement des durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail.
L’entreprise défaillante dans la mise en place d’un contrôle de la durée du travail encourt par ailleurs une amende administrative ou des poursuites pénales pour travail dissimulé par exemple.
Ainsi, le contrôle du temps de travail des salariés doit-il être vu, avant tout, par l’entreprise, comme un moyen pour elle de se protéger.
Par Me Delphine André, avocat au Barreau de Grenoble.