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Publié le , rédigé par Me Céline Béraldin

Propos ou écrits diffamatoires, fake news propagées sur les réseaux sociaux, les élus locaux sont désormais placés sous tension pendant toute la durée de leur mandat. La vigilance sur les informations qui circulent sur leur personne ou sur leurs actions est essentielle, car elles sont en capacité de ternir un mandat voire de coûter une élection. Ces agissements constituent des infractions pénales dans de nombreux cas.

Diffamation, fake news : les identifier pour agir efficacement

Le premier enjeu pour lutter efficacement contre les propos diffamatoires et les fake news est de savoir s’il s’agit bien d’une diffamation ou d’une fake news. Tous les propos ou une allégation sur les réseaux sociaux, si désagréables soient-ils pour son destinataire, ne constituent pas nécessairement de la diffamation ou une fake news.

Des délits de presse

La diffamation publique et les fake news sont régies par la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse davantage que par le Code pénal.

La diffamation publique est définie comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation » (article 29). Il s’agit donc d’un délit contre les personnes, punissable d’une amende majorée de 45 000 euros pour son auteur en raison de la qualité d’élu de la victime. La loi prévoyait déjà que tous les supports seraient concernés, permettant d’appliquer en 2024 un texte de 1881 aux réseaux sociaux, aux sites internet et aux blogs.

Pas de noms, mais des sanctions

Souvent, les auteurs se croient protégés en invoquant le fait qu’ils n’ont cité personne, qu’ils se sont contentés de poser des questions, de s’interroger sur telle ou telle action, sans être forcément très affirmatifs dans leur expression.

Les propos sous formes dubitatives, utilisant de la ponctuation telles les points de suspension, le point d’exclamation, ou qui, sans les nommer, permettent de reconnaître une personne ou un groupe de personnes constituent de la diffamation.

Ainsi, un écrit mettant en cause la régularité de l’attribution d’un marché public par un élu sous forme de questionnement ou sans le nommer, bien qu’il soit identifiable, pourra être qualifié de diffamation publique.

Le cas retors des « boucles » de messageries

Il est également parfois difficile de savoir si la diffamation est de nature publique ou privée. La diffamation privée est punissable d’une contravention de 38 euros seulement. La question s’avère cruciale s’agissant des boucles de messageries instantanées (WhatsApp, Telegram etc.).

Dans ce cas, le juge livre une appréciation au cas par cas. Ainsi, des messages diffamatoires seront qualifiés de privés s’il y a peu de participants et que tous les messages sont restés dans « la boucle ». À l’inverse, si un participant rend public un message diffamatoire ou que le groupe comporte plusieurs centaines de personnes, il perdra son caractère privé.

Protection de la liberté d’expression

Enfin, il convient de garder à l’esprit qu’en contexte électoral particulièrement, les juges, quelles que soient les juridictions, sont garants de la liberté d’expression des opinions. Ils pourront alors faire primer cette dernière sur des propos parfois durs et dès lors que ceux-ci ne constituent pas des propos homophobes, racistes, sexistes ou handiphobes.

Fake news ou erreurs ?

La réglementation des fake news suit le même chemin que la diffamation. Elles sont définies comme « La publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers lorsque, faite de mauvaise foi, elle aura troublé la paix publique, ou aura été susceptible de la troubler […] » (article 27 de la loi de 1881). Il n’est pas rare de voir se multiplier les faux comptes Facebook, les sites miroirs et autres techniques afin de déstabiliser l’opinion et de peser sur le résultat d’une élection locale.

Une fois encore, avant d’agir, il est important de déterminer si les propos sont des fake news ou si ce sont l’expression d’une opinion différente. Ainsi, donner des chiffres erronés sur une statistique ou un budget lors d’une réunion publique n’est pas constitutif d’une fake news. En revanche, publier ces mêmes chiffres méthodiquement sur plusieurs comptes afin de les relayer et de les amplifier peut constituer une fake news.

Il est alors important de connaître les outils à mobiliser, car le délai de prescription de ces infractions n’est que de trois mois.

Les différentes ripostes possibles

Droit de réponse, dépôt de plainte, citation directe, mise en demeure de l’hébergeur sont autant des moyens que les élus peuvent mobiliser pour se défendre. Si l’auteur d’une diffamation ou d’une fake news est un agent public, la sanction pénale est indépendante d’une sanction disciplinaire qui pourra également être mise en œuvre.

Il faut alors être réactif, car la plupart des délits de presse se prescrivent seulement par trois mois à compter du jour de leur commission (article 65 de la loi de 1881).

Le droit de réponse

Il s’agit d’une riposte non judiciaire qui consiste à demander, au média responsable, un espace afin de faire connaître ses explications sur les circonstances ayant provoqué sa désignation. Le média ne peut refuser, à moins qu’il ne s’agisse d’un moyen détourné à des fins de propagandes politiques.

Le dépôt de plainte

Les élus peuvent déposer directement une plainte avec constitution de partie civile, sans être contraints de passer par l’étape de la plainte « simple », dès lors qu’il s’agit de délits de presse (articles 85 alinéa 2 du Code de procédure pénale). Une information judiciaire est alors ouverte sous la conduite d’un juge d’instruction. L’élu bénéficiera de la protection fonctionnelle dans la plupart des cas. Il n’y aura pas nécessité de voter une délibération s’il dépose plainte en son nom. Sa collectivité pourra se joindre à la plainte, si l’élu fait état de sa qualité de citoyen chargé d’un mandat public. En revanche, si la plainte est déposée au nom d’une personne morale de droit public, la délibération préalable est obligatoire.

La citation directe

Beaucoup de condamnations en matière de diffamation sont prononcées à l’occasion de citations directes. Si elle permet d’obtenir un procès de manière certaine, il faut impérativement connaître le nom du ou des auteurs de la diffamation ou de la fake news et respecter des conditions de formes très strictes dans la rédaction de l’assignation sous peine d’encourir la nullité de la procédure. La citation directe fait l’impasse sur toute enquête ou information judiciaire préalable. La personne citée doit donc savoir exactement ce qui lui est reproché et sur quels fondements juridiques l’élu demande sa condamnation.

La mise en demeure de l’hébergeur

Au-delà des formulaires et des onglets pour signaler des abus directement sur les sites internet et certaines plateformes, la responsabilité de l’hébergeur est clairement consacrée sur son attitude « a posteriori » par la loi de loi du 21 avril 2004 pour la confiance dans l’économie numérique. Il appartient à l’hébergeur, et nonobstant toute clause limitative ou exonératoire de responsabilité, de retirer sans délais les informations litigieuses ou pour rendre leur accès impossible dès réception d’une notification.

La réception de la notification crée une présomption de connaissance des faits litigieux. La notification doit préciser le contenu des faits litigieux ainsi que les raisons pour lesquelles ils doivent être retirés et être accompagnés de la copie du courrier de mise en demeure adressé directement au site ou réseau social ayant publié les propos ou images. À défaut, la responsabilité de l’hébergeur ne pourra être engagée.

Les atteintes à la réputation des élus font l’objet des attentions du législateur depuis quelques années. Une proposition de loi est d’ailleurs en discussion afin d’allonger de trois mois à un an le délai de prescription de la diffamation publique. Cet allongement est censé protéger les élus en raison du mandat qu’ils exercent face aux pressions et harcèlement qu’ils subissent de plus en plus.