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Comment définir la concurrence déloyale d’un salarié ou d’un ancien salarié ? Du débauchage massif de salariés, à l’utilisation de données techniques ou commerciales : la jurisprudence est nombreuse sur les exemples reconnus comme concurrence déloyale. Face à ces agissements, quelles sanctions peuvent être prises ?

Au cours de l’exécution du contrat de travail, le salarié est tenu à une obligation de loyauté envers son employeur. À ce titre, il lui est interdit d’exercer une activité concurrençant ce dernier. Cependant, lorsque le contrat de travail est rompu, le salarié retrouve sa liberté de travail et d’établissement, en l’absence de clause de non-concurrence prévue dans le contrat ou en cas de renonciation de l’employeur.

Pour autant, même dans ces hypothèses, l’ancien salarié ne doit pas se rendre coupable de concurrence déloyale, sous peine de sanctions.

La concurrence déloyale n’est pas définie par la loi

C’est grâce à l’analyse de la jurisprudence qu’il est possible d’identifier les éléments constituant ou non de la concurrence déloyale. Les juges se livrent à une appréciation souveraine de l’ensemble des faits qui leur sont soumis. En tout état de cause, ce sont les articles 1240 et 1241 du Code civil qui sont le fondement juridique de la concurrence déloyale. Dès lors, pour qu’elle soit retenue, il est nécessaire de caractériser l’existence d’un ou de plusieurs faits fautifs causant un dommage à autrui.

À titre d’exemples, certains agissements sont souvent considérés comme fautifs, en ce qu’ils entraînent les conséquences dommageables suivantes :

– Confusion dans l’esprit des tiers entre deux sociétés ayant la même activité,

– Trouble commercial causé à l’ancien employeur,

– Désorganisation de la société qui employait auparavant les intéressés, en particulier du fait du débauchage de nombreux salariés.

Il est, en outre, indispensable que les faits de concurrence déloyale soient démontrés par des preuves non litigieuses. En revanche, l’élément intentionnel n’a pas à être caractérisé pour que la faute soit retenue.

Trois exemples récents de jurisprudence ayant retenu l’existence d’une concurrence déloyale

Dans le cadre d’une première affaire, il était question d’un ancien salarié ayant créé une société concurrente à celle de son précédent employeur. Le problème était que cet ancien salarié avait conservé des données techniques appartenant à la société qu’il avait quittée. L’employeur lésé avait pu faire constater au moyen d’une saisie que ces données étaient présentes dans l’ordinateur professionnel de l’ancien salarié ; ordinateur qui se trouvait dans les locaux de la société concurrente qu’il avait nouvellement créée. L’ancien employeur avait alors saisi le tribunal de commerce de plusieurs demandes tendant à la réparation de son préjudice, la suppression des documents litigieux ainsi que le prononcé d’une interdiction d’exercice contre la société concurrente. La cour d’appel de Grenoble avait refusé de faire droit à ses demandes en retenant que l’ancien employeur n’établissait pas que ces détournements de données avaient permis l’accomplissement d’actes de concurrence déloyale. La chambre commerciale de la Cour de cassation, dans un arrêt rendu le 6 juin 2022 (n° 21-11.921), n’a pas adopté la même position que la cour d’appel. La Haute Cour a décidé que la conservation d’informations confidentielles appartenant à une société tierce par un ancien salarié, ne serait-il pas tenu par une clause de non-concurrence, et leur appropriation par la société qu’il a créée, constituent un acte de concurrence déloyale. Finalement, il importe peu que ces informations soient ou non utilisées. Leur simple détention est sanctionnée.

Dans une deuxième espèce, deux salariés avaient créé une société concurrente (gestion de syndics de copropriétés) à celle de leur employeur, a priori pendant leur préavis. Si une telle création est en principe autorisée à titre d’acte préparatoire de la future activité, la concurrence ne peut devenir effective qu’après la rupture du contrat de travail. Or, le dernier jour de son contrat de travail, l’un des deux salariés avait envoyé une proposition de contrat, au nom de sa société nouvellement créée, à l’un des clients de son ancien employeur. Ensuite, plusieurs clients de cet employeur avaient résilié leur contrat pour recourir aux services de la société constituée par les deux anciens salariés. La société lésée avait agi en concurrence déloyale, en invoquant le démarchage illicite de sa clientèle. La cour d’appel de Paris avait débouté la requérante de ses demandes en retenant que la nouvelle société n’avait pas commencé son activité avant la fin des contrats de travail liant ses fondateurs à la première société, puisqu’elle n’avait été désignée comme syndic qu’au cours d’assemblées générales qui s’étaient tenues postérieurement à la fin des contrats de travail et qu’elle n’avait perçu aucun règlement avant cette même date. La chambre commerciale de la Cour de cassation n’a pas validé le raisonnement de la cour d’appel. En effet, dans un arrêt du 7 décembre 2022 (n° 21-19.860), les sages ont reproché à la cour d’appel de ne pas avoir recherché si l’envoi d’une proposition de contrat de syndic à un membre d’une copropriété cliente du précédent employeur ne constituait pas un acte d’exploitation commis antérieurement au terme du contrat de travail.

Par ailleurs, ces mêmes salariés fondateurs de la société concurrente avaient transféré au sein de celle-ci et ce, avant la fin de leur contrat de travail, les listes des résidences clientes gérées par leur précédent employeur ainsi que les adresses e-mails des personnes à contacter. La chambre commerciale de la Cour de cassation a confirmé sa position précédemment évoquée. Elle a décidé que le seul fait, pour une société à la création de laquelle a participé l’ancien salarié d’un concurrent, de détenir des informations confidentielles relatives à l’activité de celui-ci et obtenues par ce salarié pendant l’exécution de son contrat de travail, constitue un acte de concurrence déloyale.

Enfin, dans un troisième arrêt rendu le 13 avril 2023 (n° 22-12.808), la chambre commerciale de la Cour de cassation a retenu que constitue un acte de concurrence déloyale le débauchage massif du personnel d’un concurrent qui a pour effet d’entraîner sa désorganisation. En l’espèce, un salarié avait démissionné d’une première société. Peu de temps après son embauche au sein d’une société concurrente de la première, il avait contacté onze salariés sur les vingt-deux composant l’effectif de celle-ci, afin de leur proposer des offres d’emploi comprenant notamment des salaires supérieurs à ceux perçus au sein de la première société. Finalement, même si le recrutement réel n’a concerné que cinq personnes, la cour a retenu que la deuxième société s’était livrée à des manœuvres de débauchage massif du personnel d’une société concurrente, dont une grande majorité de son personnel d’encadrement. Par ailleurs, l’arrêt a également relevé que les personnes débauchées composaient la totalité du service qualité de la première société, de sorte que leurs démissions avaient entraîné une désorganisation profonde de la petite structure. De plus, celle-ci avait rencontré des difficultés pour retrouver du personnel rapidement opérationnel pour faire fonctionner correctement les machines.

Les sanctions de la concurrence déloyale

Les sanctions sont de nature civile et pénale. Elles peuvent être prononcées à l’encontre de l’ancien salarié et du nouvel employeur ayant commis des actes de concurrence déloyale.

Au terme de l’article 1240 du Code civil, tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer. La société lésée peut ainsi espérer obtenir la réparation du préjudice subi, matériel et/ou moral, sous réserve d’en apporter la démonstration. Il est également possible de demander à la juridiction compétente, soit le conseil de prud’hommes, soit le tribunal judiciaire, soit le tribunal de commerce suivant le cas, de mettre fin à la situation litigieuse créée par la concurrence déloyale.

Quant aux sanctions pénales, elles sont prévues par les articles 445-1 et 445-2 du Code pénal et sont encourues dès lors qu’un acte de corruption peut être caractérisé (exemple : dons ou promesses faites à un salarié pour qu’il quitte son emploi).

Par Me Émilie Allain, avocate au Barreau de Grenoble.

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