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Interview de Michèle Girot-Marc réalisée par Marie Depay pour la Rédaction du Village de la Justice.

Tout est parti d’un post sur les réseaux sociaux repéré par la Rédaction du Village de la Justice abordant des thématiques sur lesquelles nous sommes en veille tout au long de l’année, à savoir, la cybersécurité, la QVCT, la déontologie et la communication. Il émanait de Maître Girot-Marc, nouvelle bâtonnière du Barreau de Grenoble [1] qui fait de ces thèmes les axes prioritaires pour son mandat et les avocats grenoblois. Programme intéressant, puisque trois d’entre eux sont hors du champ régalien d’un bâtonnier !
Nous sommes donc allés à sa rencontre pour qu’elle précise quelles sont les capacités d’action et d’innovation d’un bâtonnier en province, mais aussi les enjeux d’un tel mandat.

Village de la Justice : Pourquoi selon vous les thématiques de la cybercriminalité, de la QVCT, de la communication et de la déontologie sont importantes pour les avocats grenoblois et le barreau de Grenoble ?

Michèle Girot-Marc : « Pourquoi la cybercriminalité ? Dans le monde de la cybercriminalité et concernant toutes les études ayant rapport avec les cabinets d’avocats, il est dit qu’il y a deux types de cabinets : ceux qui ont été hackés et ceux qui le seront. Donc à partir de là, nécessairement, en tant que professionnel, on se sent mobilisé. Notamment, car nous sommes détenteurs d’informations sensibles ou de mouvements de fonds dont l’ensemble gouvernent la vie professionnelle et la vie personnelle de tous nos clients.

Cybersécurité : il en va de la crédibilité et de la responsabilité professionnelle des avocats.

Données sensibles que nous nous devons de protéger, il en va de notre crédibilité et de notre responsabilité professionnelle vis-à-vis de nos clients. Cette protection passe notamment par une sécurisation des ordinateurs des avocats et acculturer chacun les bonnes pratiques en matière de cybersécurité. Cette sensibilisation concerne les grands comme les petits cabinets, tous doivent prendre la mesure de la cybercriminalité et s’en emparer ! Et je vais les y aider.

Concernant la Qualité de vie et des conditions de travail (QVCT), je me suis aperçue, en discutant avec des professionnels du monde de l’entreprise, qu’elle était une de leurs préoccupations depuis 20 ans. Et nous, avocats, pendant ce temps-là, nous avons regardé ailleurs, comme si nous n’étions pas concernés, alors qu’il n’en est rien. Lorsque j’ai abordé cela comme thème principal de ma campagne, les langues se sont déliées et j’ai appris que certains confrères ont fait des burn-out, beaucoup d’autres m’ont confié qu’à un moment de leur vie professionnelle, ils ont été en état de limite, à se poser la question de savoir à quel moment ils allaient basculer…
Et cela m’interpelle, car, c’est comme si on avait oublié que sous la robe de l’avocat, il y avait des femmes, des hommes. Or nos robes ne sont pas des capes d’invincibilité ! Elles ne représentent pas une armure contre les violences verbales, les agressions des clients, qui sont de plus en plus fréquentes.

« Le confort au travail est une préoccupation, surtout si l’on veut garder les avocats à leur poste ».

C’est un fait, pour les raisons ci-dessus et d’autres exogènes (augmentation des charges financières, augmentation de la charge de travail, inflation législative, pression liée aux délais de procédures…), le métier devient de plus en plus difficile. Donc, oui, le confort au travail est une préoccupation, surtout si l’on veut garder les avocats et le personnel des fonctions supports à leur poste. Et aussi si l’on veut faire venir de nouveaux confrères.

Pourquoi la communication ? Parce que le barreau de Grenoble, depuis assez longtemps, n’a pas assez communiqué, selon moi, sur ses axes forts. Nous avons des avocats spécialisés dans tous les domaines, des plus pointus (cybercriminalité, RGPD, droit des marques, nouvelles technologies, environnement) aux secteurs plus classiques (droit pénal, famille, droit du travail, droit des sociétés).

« Pour moi, il est indispensable que le savoir-faire soit corrélé par le faire savoir ».

Pour moi, il est indispensable que le savoir-faire soit corrélé par le faire savoir. Et ce, que ce soit auprès des justiciables (c’est une plus value pour eux de faire appel à un avocat « du cru » qui connait l’ensemble des acteurs du droit localement) que des futurs confrères (le barreau de Grenoble compte 630 avocats et professionnellement parlant, il y a la place pour beaucoup plus de confrères) !
De plus, le Barreau de Grenoble dispose d’une politique de formation importante pour ses avocats, et ce, dans tous les domaines, et cela aussi, il faut le faire savoir.

Enfin, pourquoi la déontologie ? Parce que la déontologie, c’est plus que notre serment. C’est être une femme, un homme, droit, bon et juste. Tout confrère, en entrant dans la profession d’avocat, acquiert des droits et des devoirs, vis-à-vis de ses clients, de ses confrères, de son ordre et des autres professionnels. Et dans un système très individualiste, il est de mon devoir de le rappeler.
Pour illustrer ma volonté, j’ai en tête la phrase de Kennedy : « Ne demande pas ce que ton pays peut faire pour toi, demande ce que tu peux faire pour ton pays » que je détourne ainsi : « Vois ce que tu peux faire pour ton ordre, pas simplement ce que l’ordre peut faire pour toi » ».

De quels moyens et outils dispose le bâtonnier pour mettre tout cela en œuvre  ?

« Pour l’axe Cybersécurité, plusieurs actions, outils sont déjà en place.

  • Nous avons mis en place la commission cybercriminalité RGPD, elle organise des formations en cybersécurité, session pour sensibiliser les avocats.
  • Le Barreau propose aussi un petit catalogue des 5-10 mesures essentielles à disposition des avocats et de leur cabinet pour renforcer leur sécurité : choix des mots de passe, utiliser des adresses sécurisées, des boîtes mail sécurisées, à sécuriser les envois de documents…
  • Egalement, une newsletter a été créée. C’est un bulletin hebdomadaire proche des confrères, dans lequel, chaque semaine, je ferai repasser des messages aussi s’agissant de la sécurisation des cabinets.
    Petit aparté, relativement à l’IA, la commission Nouvelle Technologie du Barreau est en charge de travailler sur ce sujet. Envisagée comme un outil, on l’intègre nécessairement dans nos pistes de réflexion.

Pour la QVCT, j’ai créé la commission « Qualité de vie au travail à l’ordre » qui va travailler en étroite symbiose, pour pouvoir écouter, entendre, traiter les demandes qui sont les plus urgentes dans un premier temps.

  • Premier outil mis en place, la cellule « Help Avocat », elle est constituée d’avocats honoraires, de jeunes avocats honoraires, et à terme, je voudrais l’étendre sur des avocats expérimentés. Et c’est ouvert à tout avocat, tout avocat en difficulté (financière, psychologique, relationnel avec un confrère, un client…). À cela s’ajoute la création d’une cellule de quatre psychiatres qui acceptent de prendre en rendez-vous rapidement tout avocat qui en fera la demande.
  • Pour le côté pratique, les avocats n’ayant plus d’espace dédié au sein du Palais de Justice de Grenoble, une salle conviviale à la fois de travail et de détente va voir le jour au sein de la Maison des Avocats.
  • Autre initiative pour améliorer la QVCT des avocats grenoblois, la création d’une crèche (locaux déjà acquis par le Barreau) à proximité de la Maison de l’avocat et face au Palais de Justice. L’idée, c’est d’avoir un sous-traitant qui réserve la crèche aux avocats, sur des plages horaires assez vastes et permettre ainsi aux avocats (dont 66% sont des femmes) de moins courir après le temps.
  • Tout au long de mon mandat, seront organisées des conférences, comme celle sur « comment gérer la violence des clients », des sensibilisations au dépistage du burn-out, au traitement du burn-out. Également, la réalisation d’un livret « Je tombe malade » : qui prévenir, dans quel délai, selon quelles modalités… avec les adresses et numéros de téléphone utiles.

Enfin, pour développer la communication, le Barreau travaille avec une école de communication grenobloise. Cela passe notamment par une newsletter. En effet, c’est au barreau de porter l’information et non pas à l’avocat d’aller la chercher, car il n’en a pas le temps.

À savoir que chaque commission mise en place demande à l’Ordre un budget sur la base duquel elle a toute l’attitude pour organiser des formations, des actions, mettre en place des outils ».

Que représente le Bâtonnat pour vous et spécifiquement par rapport aux enjeux locaux ?

Le bâtonnier est là pour être l’articulation, l’interface de tous les mouvements affectant la profession.

« Ce que représente le bâtonnat est personnel à chacun. Pour moi, c’est une façon de remercier le métier et les acteurs de ce métier et de rendre au métier ce qu’il m’a apporté.
Le métier d’avocat est protéiforme et en constante évolution (mutation informatique, technologique, mutation des réseaux sociaux, de la communication, mise en place de la médiation…), et il y a des enjeux importants auxquels la profession doit travailler pour s’adapter et le barreau est là pour accompagner, mettre en œuvre. Je pense que le bâtonnier est là pour être l’articulation, l’interface de tous ces mouvements.

Le rôle du bâtonnier est aussi de représenter le barreau de Grenoble dans les institutions. Et au-delà de représenter le barreau, qui est, on pourrait dire, le corps des avocats, c’est aussi tout le système de la défense. C’est d’endosser le costume de la protection du justiciable, de la protection des droits. Et dans une ville à taille humaine comme Grenoble, tout se passe en symbiose du fait d’une communication régulière entre les différents acteurs du monde judiciaire, du secteur social pour anticiper les problèmes, les fluidifier et trouver des solutions.

Je suis très fière d’être à cette place-là. Je suis aussi très honorée, enthousiaste et j’ai beaucoup d’envie ».

Interview de Michèle Girot-Marc réalisée par Marie Depay pour la Rédaction du Village de la Justice.

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