Voilà six ans qu’était attendue de la Haute Juridiction administrative une clarification sur l’existence ou non d’une obligation de sélection préalable à l’occupation du domaine privé des collectivités publiques à vocation économique. Toute incertitude sur l’état du droit est désormais levée. Retour sur un imbroglio juridique.
>Depuis l’entrée en vigueur des dispositions de l’article L. 2122-1-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) imposant une sélection préalable à l’occupation à vocation économique du domaine public et l’arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) Promoimpresa1, l’extension de l’obligation d’organiser une telle sélection préalablement à l’occupation du domaine privé des collectivités publiques demeurait incertaine.
Cette épée de Damoclès a dorénavant été levée par un arrêt du Conseil d’État du 2 décembre 20222.
L’obligation d’organiser une procédure de sélection préalable à l’octroi d’une autorisation d’occupation du domaine public à vocation économique
Depuis le 1er juillet 2017, date d’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à̀ la propriété des personnes publiques dorénavant codifiée au sein du CG3P, si le titre délivré par une collectivité a pour effet de permettre l’exercice d’une activité économique sur le domaine public occupé, la collectivité propriétaire doit organiser une procédure de sélection des candidats à la délivrance du titre.
Si cette procédure spécifique, organisée « librement » par l’autorité domaniale, n’est pas assimilable à la mise en concurrence rendue obligatoire pour les contrats de la commande publique, elle doit néanmoins garantir l’impartialité et la transparence de la sélection et comporter des mesures de publicité permettant aux postulants de se manifester.
La durée d’occupation ne doit, par ailleurs, ni restreindre ou limiter la libre concurrence au-delà de ce qui est nécessaire pour assurer l’amortissement des investissements projetés et une rémunération équitable et suffisante des capitaux investis, ni excéder les limites prévues, le cas échéant, par la loi3.
L’incertitude relative à une possible extension de cette obligation de sélection préalable aux occupations du domaine privé à vocation économique
Comme usuellement en matière de concurrence, ces dispositions ont résulté de la transposition en droit interne des dispositions de la directive « Service » 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2006 et, plus exactement, de son article 12. D’aucuns ont toutefois considéré que le législateur était resté au milieu du gué en limitant le champ d’application de cette obligation de sélection préalable aux titres d’occupation du domaine public des collectivités.
Il était en effet noté, l’absence de toute distinction entre les autorisations délivrées sur le domaine public ou sur le domaine privé des personnes morales de droit public ; le fait générateur de l’obligation étant à trouver, en droit de l’Union, dans le déroulement d’activités économiques « lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables ».
La Cour de Justice de l’Union européenne est, d’ailleurs, venue confirmer, dans sa décision Promoimpresa, que les « autorisations » soumises à sélection préalable au sens des dispositions de la directive 2006/12 devaient constituer « des actes formels devant être obtenus par les prestataires, auprès des autorités nationales, afin de pouvoir exercer leur activité économique » et, ce, « quelle que soit leur qualification en droit national ».
Fort de cette position prétorienne, le gouvernement en avait, pour sa part, déduit que « les autorités gestionnaires du domaine privé doivent mettre en œuvre des procédures similaires à celles qui prévalent pour le domaine public et qui sont précisées par les articles L. 2122-1-1 et suivants du Code général de la propriété des personnes publiques » ; « la décision de la Cour de Justice de l’Union européenne du 14 juillet 2016 “Promoimpresa” (affaires n° C-458/14 et C67/15), à la suite de laquelle a été adoptée l’ordonnance de 2017, soumet [tant] à des principes de transparence et de sélection préalable l’octroi de toute autorisation qui permet l’exercice d’une activité économique dans un secteur concurrentiel, sans opérer de distinction selon que cette activité s’exerce sur le domaine public ou sur le domaine privé des personnes publiques » 4.
Cette doctrine administrative – à l’influence notable et notée mais néanmoins dépourvue de normativité – n’a, toutefois, jamais été confirmée par la jurisprudence administrative mais a, bien au contraire, été contredite, en droit interne, d’abord par les juridictions du fond 5, avant de l’être par la Haute Juridiction administrative. De son côté, le juge judiciaire a, pour sa part, pu admettre que « la plupart des États de l’Union européenne ignorant la distinction opérée en France entre domaine public et domaine privé, on doit considérer que les principes posés par la directive “Service” et par la justice européenne s’appliquent au domaine privé » 6.
Dans une telle acception déniant la distinction domaine public/domaine privé, d’autres précisions devaient alors être apportées, notamment quant au devenir des baux commerciaux conclus par les personnes morales de droit public en application du Code de commerce (pour autant qu’ils concernent des locaux appartenant à leur domaine privé) ; un tel contrat reposant essentiellement sur le droit du preneur au renouvellement de son bail, par définition peu compatible avec la libre concurrence et l’organisation régulière d’une sélection préalable.
Dans ce contexte contrarié, une intervention du Conseil d’État était donc particulièrement attendue, en premier lieu, pour garantir la sécurité juridique des titres octroyés sur le domaine privé des collectivités publiques.
Une clarification bienvenue mais controversée confirmant l’inapplication (systématique) de l’obligation de sélection préalable aux occupations du domaine privé à vocation économique
Dans le sillage des juridictions du fond faisant application directe de la directive « Services » et dans son arrêt du 2 décembre 2022, le Conseil d’État a confirmé l’absence d’obligation de publicité et de mise en concurrence systématique pour les titres d’occupation du domaine privé des personnes publiques en vue de l’exploitation d’une activité économique en considérant qu’« il ne résulte ni des termes de la directive [2006/123] ni de la jurisprudence de la Cour de Justice que de telles obligations [de sélection préalable] s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé, qui ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive ».
Il est à noter, toutefois, que l’exclusion des biens du domaine privé de cette obligation ne s’entend que lorsque le titre ne constitue pas « une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens du 6) de l’article 4 de cette même directive », de sorte qu’il pourrait en aller autrement, comme l’a souligné Madame la rapporteure publique Cécile Raquin dans ses conclusions, notamment lorsque la personne publique met à la charge de son cocontractant des obligations particulières dans l’exercice de son activité.
Au-delà, si cette décision a le mérite de sécuriser le cadre juridique applicable aux occupations du domaine privé, la position tenue demeure controversée au regard de l’influence du droit de l’Union européenne et de son indifférence, maintes fois éprouvées, aux subtilités du droit public français.
Par Me Sarah Tissot, avocate au Barreau de Grenoble.