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Publié le , rédigé par Me Didier Milland

L’ordonnance n° 2022-408 en date du 23 mars 2022 a mis fin à la coexistence de régimes de responsabilité financière différents pour les ordonnateurs, d’une part, et les comptables, d’autre part. Cette nouvelle responsabilité financière « unifiée », en vigueur depuis le 1er janvier 2023, est un changement majeur pour les gestionnaires publics.

Historique de la réforme

Jusqu’à une date récente, en matière de responsabilité financière des personnes publiques, deux régimes de responsabilité coexistaient, du fait du principe de séparation des ordonnateurs et des comptables :

– Les ordonnateurs étaient jugés devant la cour de discipline budgétaire et financière (CDBF).

Cependant, les élus locaux échappaient au contrôle de cette entité, dont l’activité juridictionnelle était par ailleurs très réduite.

– Les comptables, de leur côté, se voyaient appliquer un régime de responsabilité personnelle et pécuniaire (dite « RPP »).

Devant les critiques faites à ce dispositif et, notamment, une situation de jugement des comptes et non des comptables, la non-prise en compte de la notion de faute, et, parfois, des cas de condamnations de comptables pour des irrégularités commises par les ordonnateurs, une réforme de fond est intervenue, issue de l’ordonnance n° 2022-408 en date du 23 mars 2022 (qui a été complétée par deux décrets, n° 2022-1604 et n° 2022-1605 en date du 22 décembre 2022).

Cette réforme est entrée en vigueur le 1er janvier 2023.

Les principales dispositions de la réforme

En premier lieu, le texte met en place une responsabilité financière unifiée pour les gestionnaires publics. Ce qui ne signifie pas pour autant que le principe de séparation de l’ordonnateur et du comptable disparaît.

Depuis le 1er janvier 2023, donc, tous les gestionnaires de fonds publics, qu’ils soient ordonnateurs ou comptables, relèvent d’un régime commun de responsabilité.

Néanmoins, selon les dispositions désormais codifiées à l’article 131-9 du Code des juridictions financières (CJF), les infractions aux règles comptables ne sont sanctionnées que si elles constituent des « fautes graves ayant causé un préjudice financier significatif », le caractère significatif du préjudice étant apprécié en tenant compte de son montant, au regard du budget de l’entité ou du service relevant de la responsabilité du justiciable.

Cette double condition a pour objectif de limiter les cas de responsabilités.

En second lieu, la fonction juridictionnelle en la matière est recentralisée, avec la création de la 7e chambre de la Cour des comptes et la suppression de la fonction juridictionnelle des chambres régionales et territoriales des comptes (CRTC), dont le rôle est limité à des enquêtes/contrôles et à un pouvoir de saisie de la 7e chambre.

S’agissant du nouveau régime de responsabilité, la liste des justiciables est assez large, puisque l’article L.131-1 2° du CJF vise « tout fonctionnaire ou agent civil ou militaire de l’État, des collectivités territoriales, de leurs établissements publics, ainsi que des groupements des collectivités territoriales », mais continue à exclure les élus locaux (L.131-2), sauf dans certains cas spécifiques (gestion de fait ; réquisition comptable ; résistance à l’exécution d’une décision de justice).

Concrètement, concernant les collectivités territoriales et EPCI, ce sont donc les agents de ces structures, en tant qu’ordonnateurs de 2e rang, qui se retrouvent principalement concernés par la réforme, même si, en plus de la double condition évoquée ci-dessus, deux dispositifs d’atténuation ont été prévus par le texte : quand le justiciable agit « conformément aux instructions préalables de son supérieur hiérarchique et d’une personne habilitée » (art. L.131-5 CJF) ou lorsqu’il peut exciper (art. L.131-6 CJF) soit d’un ordre écrit émanant de l’exécutif, soit d’une délibération de l’organe délibérant.

Au regard de ce changement de paradigme et des risques potentiels d’une mise en cause accrue des agents publics locaux, les premières décisions du juge financier étaient donc particulièrement attendues.

Les premiers enseignements jurisprudentiels

Dans une affaire concernant la société Alpexpo, la Cour des comptes (Cour des comptes, 11 mai 2023, Alpexpo, n°S-2023-0604, aff. 836) a dû statuer, pour la première fois, sur l’infraction de l’article L.131-9 citée plus haut, fondée sur une « faute grave ayant entraîné un préjudice significatif ».

La juridiction a considéré que : « Indépendamment des manquements poursuivis et de leur gravité supposée, dans la limite des seuls éléments relatifs à l’existence d’un préjudice financier significatif, dont la Cour est saisie, il demeure impossible d’apprécier le montant des sommes dont Mme Z serait restée redevable, alors qu’il n’est pas suffisamment démontré que l’exécution du contrat passé avec MCG Managers ait constitué une dépense ayant contribué à aggraver le résultat financier de la société Alpexpo. Il en va de même des contrats qui auraient été conclus au cours de la période non prescrite, sans avoir été précédés d’une publicité ou d’une mise en concurrence suffisantes, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu’ils auraient entraîné un préjudice financier significatif, au détriment de la société. Dès lors, le préjudice financier et son caractère significatif, au sens de l’article L. 131-9 précité du Code des juridictions financières, entré en vigueur le 1er janvier 2023, ne sont pas établis. Ainsi, tous les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas réunis. En conséquence, il y a lieu de relaxer des fins des poursuites engagées à leur encontre
MM. X. et Y. ».

Cette décision est donc venue rassurer les gestionnaires publics, puisque l’on pouvait y déceler une intention de la chambre du contentieux de la Cour des comptes de ne censurer que les fautes réellement conséquentes et non de simples fautes de gestion.

Cette position a d’ailleurs été confirmée par la nouvelle cour d’appel financière, qui a considéré qu’en l’espèce, l’existence d’une faute de gestion n’était pas caractérisée et que le préjudice financier n’était pas établi, faute, notamment, d’avoir défini son ordre de grandeur avec une précision suffisante pour pouvoir ensuite être apprécié au regard des éléments financiers de l’entité ou du service concerné (cour d’appel financière, 1re ch., 12 janvier 2024, Alpexpo, n° 2024-01).

S’agissant de la question du niveau de responsabilité des justiciables, la Cour des comptes s’est prononcée sur le nouveau de régime de sanction, applicable en cas d’inexécution d’une décision de justice (Cour des comptes, 31 mai 2023, commune d’Ajaccio, n°S-2023-0667, aff. 876), en posant de manière indirecte mais claire qu’en la matière, la responsabilité était susceptible d’être engagée assez largement pour les différents gestionnaires publics et quel que soit leur niveau de responsabilité : « La Cour ne limite pas la sanction aux agents ayant pris une part directe dans les irrégularités et recherche également la responsabilité de tout justiciable du fait des obligations attachées à ses fonctions, même s’il n’est pas démontré que celui-ci a activement participé à la commission des irrégularités ». Même si, en l’espèce, c’est le maire de la commune qui a été condamné (il était sanctionnable par la juridiction en raison de la nature de l’infraction, qui entrait dans l’une des exceptions précitées, à savoir la résistance à l’exécution d’une décision de justice).

La juridiction a tenu un raisonnement à peu près similaire dans une autre affaire, en considérant que les infractions prévues au 1° de l’article L.131-14 du CJF pouvaient tout à fait être imputées à une attachée d’administration hospitalière, qui n’occupait pas un poste de direction générale (Cour des comptes, 10 juillet 2023, centre hospitalier Sainte-Marie, n°S-2023-085, aff. 882).

En synthèse, il faut donc retenir de ce nouveau régime et des premières décisions intervenues que, d’une part, seules les fautes de gestion les plus conséquentes devraient être sanctionnées dans ce cadre, mais que, d’autre part, le niveau de responsabilité des agents ne sera pas nécessairement un argument convaincant pour ne pas être inquiété devant le juge.