Le droit à la déconnexion est un droit de création jurisprudentielle qui a été consacré pour la première fois par la loi travail de 2016. Il s’agit d’un droit d’application générale dont le non-respect peut avoir pour l’employeur des conséquences lourdes, ce qui doit l’amener à s’interroger sur les bonnes pratiques à mettre en place.
Le droit à la déconnexion est un droit, reconnu à tout salarié, de ne pas répondre, voire de ne pas prendre connaissance, des sollicitations et demandes de son employeur durant ses heures non travaillées et de ne pas faire usage, durant ce laps de temps, des outils numériques mis à sa disposition pour exécuter ses missions.
Le droit à la déconnexion est un droit d’application large
Tout salarié, quelle que soit sa qualification, classification, ou encore la taille de son entreprise, bénéficie d’un droit à la déconnexion. Il ne bénéficie donc pas qu’aux cadres en forfait jours des grandes entreprises.
Ce droit vise à garantir de manière effective les droits au repos, à un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, consacrés par le Code du travail. Il est aussi, pour le législateur, un moyen d’assurer l’absence de discrimination homme/femme. Les salariés en télétravail doivent en bénéficier, tout comme les cadres dirigeants, même si ces derniers ne sont pas soumis aux règles relatives à la durée du travail.
Si l’ensemble des entreprises et des salariés est concerné, le législateur n’a rendu obligatoire la formalisation des mesures prises pour le faire respecter que dans les entreprises de plus de cinquante salariés. En effet, dans les entreprises de plus de cinquante salariés, le droit à la déconnexion fait partie des thèmes sur lesquels l’employeur a l’obligation de négocier a minima tous les quatre ans. Ce thème peut faire l’objet d’une négociation spécifique ou être intégré à d’autres négociations plus vastes, comme l’égalité homme-femme, l’égalité professionnelle, la durée du travail.
Cette négociation doit porter sur les modalités du droit à déconnexion et la mise en place de dispositifs permettant la régularisation de l’usage des outils numériques professionnels. À défaut d’accord, l’employeur doit définir les mesures applicables dans une charte qui est soumise à avis du CSE, s’il existe. Cette charte définit les modalités de l’exercice du droit à la déconnexion et prévoit en outre la mise en œuvre, à destination des salariés et du personnel d’encadrement et de direction, d’actions de formation et de sensibilisation à un usage raisonnable des outils numériques.
Les entreprises de moins de cinquante salariés sont dispensées du formalisme susvisé, mais sont tenues de prendre des mesures et d’en justifier, notamment en cas de contentieux.
Il est une situation où l’obligation de viser, de manière effective et précise, les mesures prises pour respecter le droit à déconnexion s’applique à l’ensemble des entreprises : il s’agit des forfaits jours. En effet, depuis 2016, l’accord collectif organisant le décompte du temps de travail en jours doit contenir une clause sur le droit à la déconnexion ou, à défaut, cette clause doit être incluse dans la convention individuelle de forfait. La clause doit contenir des mesures précises et adaptées et si possible visées des modalités de contrôle de leur respect.
Il ne fait également aucun doute que cette thématique doit faire partie des points abordés par le document unique d’évaluation des risques, obligatoire dès lors que l’entreprise comporte au moins un salarié.
Avec de lourdes conséquences en cas de manquements de l’employeur
Les conséquences de l’inertie de l’employeur dans ce domaine peuvent être lourdes. L’absence de mise en place des négociations obligatoires pour les entreprises concernées constitue tout d’abord un délit d’entrave, pénalement sanctionné. La condamnation pour entrave, rappelons-le, empêche toute possibilité de candidater à des marchés publics. Une pénalité d’1 % de la masse salariale peut également être appliquée.
Le non-respect de l’effectivité de ce droit est aussi sanctionné par les juridictions sociales par l’octroi de dommages et intérêts au profit du salarié lésé. Mais surtout, en cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle découlant d’un temps de travail trop important, l’absence de mesures prises pour faire respecter le droit à déconnexion permettra la reconnaissance d’une faute inexcusable.
La problématique est donc de première importance et pourtant, en dépit des risques encourus, force est de constater que seules 16 % des entreprises françaises ont défini et pris des mesures en la matière et qu’il s’agit, pour la quasi-totalité, d’entreprises de taille importante (plus de 100 salariés). Il semble donc important de définir un modus operandi des bonnes pratiques en la matière.
Quelles mesures mettre en place ?
La première étape à respecter consiste en la réalisation d’un état des lieux au sein de l’entreprise, passant par une étude des salariés concernés, par l’usage des moyens de télécommunication, un audit des interventions durant les temps de repos, ainsi que les raisons et circonstances qui ont conduit à ces interventions.
Il peut aussi être opportun de questionner le DSI de l’entreprise pour connaître l’importance et la fréquence de ces dernières et les périodes durant lesquelles elles surviennent le plus.
Après cet audit, vient la définition des mesures à prendre… Cela passe tout d’abord par la définition des temps durant lesquels ce droit doit s’appliquer et l’encadrement de ce que l’on dénomme souvent de manière floue « les cas d’urgence ». Le temps minimum de déconnexion est fixé par le Code du travail à 11 heures par jour et à 35 heures consécutives par semaine, mais on ne peut le limiter à ces périodes. Si la fixation des plages de déconnexion ne pose pas de difficultés particulières pour les salariés à horaires définis, cela s’avère nettement plus compliqué pour les salariés en forfait, ou itinérants, ou encore travaillant en astreinte.
Concernant les mesures, elles peuvent être de différentes sortes, comme l’interdiction de se connecter au réseau de l’entreprise en dehors de son temps de travail, d’appeler ou de contacter ses collègues de travail durant les périodes de congés, la nécessité de mettre un objet lors de l’envoi d’un e-mail pour éviter une surcharge d’informations inutiles et non urgentes. Peu d’accords osent prévoir pour le moment une interdiction formelle.
Le moyen le plus efficace demeure le blocage des outils numériques durant les périodes de déconnexion. Beaucoup des mesures prises visent en priorité à responsabiliser les salariés et à les inciter à adopter de bonnes pratiques, comme s’interroger par exemple sur l’urgence d’accomplir une mission, la nécessité de l’envoi d’un mail, etc. L’employeur ne peut toutefois se contenter de ces incitations, il doit garantir le droit de manière effective en s’assurant que, dans les faits, les mesures sont respectées par les salariés. À défaut, il doit formaliser un rappel à l’ordre au salarié adoptant un comportement inadapté, voire faire usage de son pouvoir disciplinaire si le salarié persiste dans son comportement. Il est d’ailleurs assez logique que le règlement intérieur se réfère à l’accord négocié sur la déconnexion.
La simple mise en place de règles coercitives ou incitatives est toutefois bien souvent insuffisante et l’effectivité du respect du droit à déconnexion ne peut être garantie qu’en assurant au personnel, et notamment aux managers, une formation et une information adaptées. Le droit à déconnexion fait en effet partie des domaines dans lesquels les salariés doivent être formés, avec un rappel des pratiques à risques, de leurs conséquences et des moyens d’y remédier. Cette formation est souvent doublée d’un droit d’alerte lorsque le salarié constate qu’il n’arrive plus à préserver ce droit.
Le dernier moyen d’assurer le respect de ce droit est de garantir une immunité aux salariés et notamment leur rappeler qu’ils ne pourront pas faire l’objet de sanctions directes ou indirectes pour avoir fait usage de ce droit. La réalité montre que, pour des raisons facilement compréhensibles, la quasi-totalité des accords sont silencieux sur ce point qui est pourtant capital.
Par Me Sandrine Poncet, avocate au Barreau de Grenoble.