La signature électronique des contrats s’est considérablement développée ces dernières années, notamment depuis la crise du Covid. Pourtant, toutes les entreprises n’ont pas encore adopté ce système, dont le régime juridique reste assez complexe. En parallèle, le recours à la signature numérisée est de plus en plus fréquent, mais sa validité juridique reste incertaine. L’occasion de faire le point sur ces différentes techniques.
Selon une enquête sur l’évolution des usages de la signature électronique en France, réalisée en janvier 2021, 26 % des entreprises ont adopté une solution de signature électronique depuis le début de la crise sanitaire. Mais cet effort de numérisation apparaît inégal selon la taille des entreprises considérées : 41 % sont des PME, 53 % des ETI, et seulement 25 % des TPE.
En revanche, le procédé consistant à signer le contrat, et à adresser une copie scannée à son partenaire (client ou fournisseur) est très largement répandu. Un autre mode de signature consiste à apposer sur le contrat (devis ou bon de commande) une image scannée de la signature du dirigeant.
Ces différents procédés ne sont pourtant pas équivalents d’un point de vue juridique.
La signature électronique : un idéal pas toujours adapté à la vie des affaires
L’article 1367 alinéa 1 du Code civil l’exprime en termes clairs : « La signature nécessaire à la perfection d’un acte juridique identifie son auteur. Elle manifeste son consentement aux obligations qui découlent de cet acte ». On retrouve ici les deux fonctions de la signature : authentification du signataire (ce qui permet de déterminer son pouvoir de signature et, in fine, la validité de l’acte), et consentement du signataire à l’acte.
Cette double fonction d’authentification du signataire et de consentement à l’acte est présumée remplie lorsqu’on est présence d’une signature manuscrite. En revanche, pour la signature électronique, l’article 1367 al. 2 dispose qu’elle « consiste en l’usage d’un procédé fiable d’identification garantissant son lien avec l’acte auquel elle s’attache. La fiabilité de ce procédé est présumée, jusqu’à preuve du contraire, lorsque la signature électronique est créée, l’identité du signataire assurée et l’intégrité de l’acte garantie, dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ». En l’espèce, c’est le décret du 28 septembre 2017 qui a posé le principe selon lequel « la fiabilité d’un procédé de signature électronique est présumée, jusqu’à preuve du contraire, lorsque ce procédé met en œuvre une signature électronique qualifiée ».
En effet, il convient de rappeler qu’il existe trois niveaux de signature électroniques :
– la signature simple, comme une case à cocher ;
– la signature avancée, procédé de signature organisant une vérification en ligne de l’identité de la personne (par une carte d’identité), doublée de l’envoi d’un lien de signature par mail et d’un code de validation par SMS ;
– la signature qualifiée, qui requiert un certificat qualifié de signature électronique, ainsi que l’utilisation d’une clé privée de signature qui sera remise au signataire physiquement, contre remise d’un document d’identité. C’est le procédé utilisé par exemple par les avocats disposant d’une clé « e-barreau » pour la signature d’actes d’avocat « natifs ».
Seule la signature électronique « qualifiée » est équivalente à une signature manuscrite. C’est d’ailleurs ce niveau de signature qui est exigé pour les soumissionnaires aux marchés publics (arrêté du 12 avril 2018). Et c’est là que le bât peut blesser, car ce procédé de signature exige une procédure lourde, qui est clairement incompatible avec la rapidité de la vie des affaires.
C’est pourquoi la plupart des entreprises ont recours à la signature avancée, via des prestataires bien connus (Docusign, Yousign, etc.), sans nécessairement être conscientes du fait que ces procédés n’offrent pas une sécurité juridique parfaite. En effet, il appartiendra à celui ayant mis en œuvre le procédé de signature électronique avancée, d’établir qu’il y a eu « usage d’un procédé fiable d’identification », garantissant le consentement du signataire et l’intégrité de l’acte numérique.
Or, la jurisprudence est particulièrement rigoureuse, et exige la production d’un véritable « dossier de preuve » permettant de retracer les différentes étapes de la signature (envoi du lien par courriel, clic sur le lien, envoi du SMS, validation du code, etc.) et les modalités de vérification de l’identité du signataire. Il est ainsi arrivé qu’un CDD (qui doit être établi par écrit) soit requalifié en CDI, à défaut pour l’employeur d’avoir apporté la preuve d’une signature électronique fiable au sens de l’article 1367 (CA Paris 23/06/2022)…
Dans ces conditions, on peut légitimement se demander si la numérisation de la signature n’offre pas plus d’avantages qu’une signature électronique.
La signature scannée : une solution acceptable ?
Lorsque l’acte a été signé à la main, puis scanné, la question sera uniquement probatoire. L’article 1379 du Code civil reconnaît à une « copie fiable » la même force probante qu’un original, et la copie sera présumée fiable s’il y a reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte, et emploi d’un procédé garantissant son intégrité (ce qui sera le cas d’un fichier PDF « non modifiable » par exemple).
Mais lorsqu’on a recours à une signature « image », c’est la validité du document qui peut être sujette à caution. Ainsi, la signature scannée n’est ni une signature manuscrite ni une signature électronique ; mais n’est pas pour autant, pour la Cour de cassation « une absence de signature » : elle ne sera valable qu’à la double condition qu’elle identifie son auteur et manifeste le consentement de son auteur aux obligations du contrat. Force est de reconnaître toutefois que la jurisprudence sur la question est assez casuistique.
La Cour de cassation a ainsi jugé non valides les signatures scannées de trois actionnaires d’une société, qui auraient consenti au profit d’une autre société une promesse de vente de leurs parts sociales comme garantie d’un prêt accordé par cette dernière. Dans les faits, la prétendue promesse de vente était datée du même jour que l’acte de prêt (non contesté, celui-là), mais ce dernier ne faisait aucunement référence à la promesse litigieuse. Par ailleurs, ce recours à la signature numérisée n’avait jamais été utilisé entre les parties pour d’autres actes antérieurs à la promesse litigieuse. Le consentement de ces personnes à la promesse de vente n’était donc pas acquis.
Cependant, il a aussi été jugé qu’un CDD était valable, dès lors que la signature (numérisée) était bien celle du gérant et que l’on pouvait parfaitement l’identifier, écartant ainsi la demande de requalification en CDI (Cass. Soc. 14/12/2022). Ou encore que la signature scannée du représentant d’un organisme bancaire était valable, car elle était lisible et permettait d’identifier le représentant légal de la banque (CA Aix, 28/02/2017). Mais la décision relève aussi qu’« en tout état de cause, la société Cofidis a, par la remise des fonds, exécuté le contrat », ce qui valait confirmation de l’acte.
On constate ainsi que la signature scannée n’est absolument pas condamnée par les tribunaux, mais qu’en cas de doute sur l’identification ou, plus encore, sur la matérialité de la signature, il faudra rapporter des éléments de preuve extrinsèques pour prouver le consentement du signataire. Rien n’est en effet plus simple que de « copier-coller » une signature numérisée sur un document Word ou PDF, ce qui ouvre la voie à de possibles manœuvres frauduleuses…
Pour conclure, l’emploi d’une signature scannée, sans offrir les mêmes garanties juridiques qu’une signature électronique « qualifiée », n’apparaît pas moins avantageux ni sécurisé qu’une signature électronique de moindre niveau, ce qui laisse toutes les options ouvertes pour les entreprises.
Par Me Josquin Louvier, avocat au Barreau de Grenoble.