Pour ce deuxième volet, nous dressons la cartographie des principales mesures de la loi de finances 2024, qui intéressent les entreprises.
Tandis que s’accumulent les craintes d’un ralentissement de l’économie mondiale dont l’ampleur reste encore à évaluer, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) annonce tabler sur une croissance française de 0,8 % en 2024, tandis que notre gouvernement dit s’attendre à une performance de 1,4 %. Alors qui croire ?
En vérité, la question n’est pas là, car si les prévisions en disent beaucoup sur ceux qui les font, elles ne disent en revanche souvent rien sur l’avenir.
Pendant ce temps-là, dans la dernière loi de finances, toujours pas de grand soir fiscal. Les entreprises auraient pourtant bien mérité quelques réformes à même de soutenir leur compétitivité dans un contexte international qui s’annonce délétère. Sélection de quelques mesures néanmoins notables qui les intéresseront sans doute.
Un crédit d’impôt en faveur de l’énergie verte
En résonance avec l’actualité en matière de transition énergétique, la loi de finances dévoile tout d’abord un nouveau crédit d’impôt très thématique à destination des entreprises.
Déjà visé sous l’acronyme C3IV, ce crédit d’impôt pour investissements en faveur de l’industrie verte devrait encourager les investissements contribuant à la production de batteries, panneaux photovoltaïques, éoliennes et pompes à chaleur qui, sous condition d’agrément préalable à délivrer par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie avant fin 2025 et sous condition d’exploitation pendant une durée minimale de trois ou cinq ans, se verraient alors récompensés par l’octroi d’un crédit d’impôt au taux de 20 à 60 % dépendant du lieu de réalisation du projet et de la taille de l’entreprise.
Des évolutions sur la TVA
Difficile d’ignorer ensuite l’actualité en matière de taxe sur la valeur ajoutée (TVA). Par transposition en droit interne de la directive de février 2020 sur le régime de TVA des petites entreprises, le régime de la franchise en base est en effet retouché, en diminuant d’un côté les plafonds de chiffre d’affaires (CA) permettant de bénéficier de ce régime, mais en élargissant d’un autre côté son champ d’application à toutes les entreprises établies dans un État membre de l’Union européenne à raison de la TVA due dans un autre État membre de l’UE, à condition que le CA qu’elles réalisent dans l’ensemble de l’UE n’excède pas 100 000 euros.
Rebondissant ensuite sur l’actualité jurisprudentielle relative aux loueurs de meublés de tourisme, la loi de finances tente de mettre le régime de la para-hôtellerie en cohérence avec la directive TVA, en retouchant légèrement les règles de taxation qui s’appuieront désormais sur une distinction entre les prestations d’hébergement fournies dans le cadre du secteur hôtelier ou de secteurs ayant une fonction similaire (soumises de plein droit à la TVA, si elles sont offertes pour trente nuitées au plus et si elles comprennent au moins trois des prestations constituées par le petit-déjeuner, le nettoyage régulier, la fourniture du linge et la réception) et les locations de logements meublés à usage résidentiel (exonérées de TVA sans possibilité d’option),
Décalage du calendrier de la facturation électronique
Profitons-en encore pour signaler le report de l’entrée en vigueur de la réforme sur la facturation électronique, qui laissera donc un peu plus de temps aux entreprises pour se mettre en conformité, puisque l’obligation de réception de factures électroniques est décalée du 1er juillet 2024 au 1er septembre 2026, quand l’obligation d’émission de factures électroniques et celle de transmission des données de transaction et de paiement sont quant à elle décalées du 1er janvier 2026 au 1er septembre 2027 pour les PME (ou 1er septembre 2026 pour les ETI).
La JEI est morte, vive la JEC !
Mettant fin (en matière d’impôt sur les sociétés) au statut avantageux des jeunes entreprises innovantes (JEI) pour celles créées à compter de 2024, la loi de finances crée la catégorie des jeunes entreprises de croissance (JEC), qui, pour accéder à l’exonération totale puis partielle de leurs bénéfices à l’instar des premières, devront réaliser entre 5 et 15 % de leurs charges en dépenses de R & D, tout en remplissant des critères, encore à préciser par décret, relatifs à leur potentiel de croissance.
Toujours en lutte contre la fraude fiscale
Signes des temps, les mesures de lutte contre la fraude fiscale sont un sujet rarement oublié par les lois de finances.
En la matière, les nouveautés les plus notables consisteront tout d’abord à doter l’administration fiscale de moyens de contrôle élargis, et ce à deux niveaux.
D’une part, en matière de prix de transfert, en élargissant le champ de l’obligation documentaire correspondante par l’abaissement de 400 millions d’euros à 150 millions d’euros du seuil de chiffre d’affaires ou d’actif brut, rendant obligatoire la constitution d’une documentation complète, tout en relevant à 50 000 euros le montant minimum de l’amende pour non-respect de cette obligation.
D’autre part, en donnant la possibilité aux agents de la DGFiP de procéder en tous domaines à des enquêtes actives sous pseudonyme sur des sites internet, réseaux sociaux ou encore applications de messagerie, y compris en participant à des échanges électroniques avec les personnes susceptibles d’être les auteurs des infractions recherchées.
En outre, est créée une nouvelle sanction pénale de privation pour une durée maximale de trois ans du droit au bénéfice de réductions et crédits d’impôt (sur le revenu ou la fortune) en cas de fraude fiscale aggravée (notamment en cas de recours à des personnes ou des comptes localisés à l’étranger).
Enfin, par l’institution d’un délit autonome de mise à disposition d’instruments de facilitation de la fraude fiscale visant les personnes physiques ou morales qui mettent à la disposition de tiers des moyens, services, actes ou instruments leur permettant de se soustraire aux obligations fiscales qui leur incombent, le législateur tire une nouvelle salve en renfort des autres dispositifs déjà susceptibles d’exposer les conseils et autres professionnels du chiffre et du droit à des risques de poursuites (on rappellera simplement l’existence de l’infraction de complicité de fraude fiscale et l’obligation de notification des dispositifs transfrontières présentant un caractère potentiellement agressif dite DAC 6).
Concernant les actifs numériques
Pour terminer, et c’est également un sujet qui résonnera avec l’actualité dans le sillage de l’annonce par les autorités américaines de l’autorisation des ETF spot sur le Bitcoin (étape considérée comme une reconnaissance officielle de son statut et qui pourrait accélérer sa diffusion auprès des investisseurs à la recherche d’une réserve de valeur), il nous faut alerter les sociétés commerciales sur le fait qu’elles seront désormais dans le champ de la fameuse déclaration annuelle n° 3916 des comptes détenus à l’étranger (autrefois circonscrite aux personnes physiques, associations et sociétés civiles), du moins en ce qui concerne (dans un premier temps) la déclaration des seuls comptes d’actifs numériques.
Comme pressenti alors qu’on s’intéressait aux particuliers (voir Les Affiches du 19 janvier dernier), la dernière loi de finances n’est pas davantage synonyme de révolution fiscale pour les entreprises, mais intègre surtout des mesures qui suivent le cours du leitmotiv transition énergétique / lutte contre la fraude, auquel nous sommes désormais habitués. Une évolution dans la continuité en somme et une tendance qui, sauf bouleversement inattendu, devrait se prolonger au cours des prochaines années du quinquennat entamé.
Par Me Louis Giordano et Me Stéphane Cadeau-Belliard, avocats au Barreau de Grenoble.