Quels sont les outils du Code de l’urbanisme permettant d’agir lors une évolution rapide de contexte pour reprendre le temps du projet urbain ?
Le droit envisage l’aménagement du territoire comme une compétence d’initiative publique, comme en témoigne l’article L300-1 du Code de l’urbanisme. Toutefois, les personnes publiques n’ont parfois plus les moyens de prendre l’initiative de toutes les opérations d’aménagement, la laissant à certains acteurs privés. Le Code de l’urbanisme prévoit alors des outils permettant aux personnes publiques de reprendre le contrôle du temps du projet pour faire respecter leur parti d’aménagement.
La maîtrise par la planification
L’outil le plus évident est le document de planification. Le plan local d’urbanisme (intercommunal) ou PLU (i) met à disposition une série d’outils qui peuvent être mobilisés pour s’assurer de la mise en œuvre d’un projet adapté et qualitatif. Son règlement, écrit et graphique, ainsi que ses orientations d’aménagement et de programmation (OAP) servent de cadre au projet urbain souhaité par les élus.
Les personnes compétentes en la matière peuvent aussi envisager une procédure d’évolution de leur document d’urbanisme, pour s’adapter aux temporalités du projet urbain. Elles peuvent ainsi mettre en œuvre une des procédures prévues par le Code de l’urbanisme : modification simplifiée ou de droit commun, révision ou révision allégée, voire mise en compatibilité des règles d’urbanisme, suite à une déclaration d’utilité publique ou déclaration de projet, pour permettre la réalisation ponctuelle d’une action ou d’une opération d’intérêt général ou d’utilité publique.
En outre, le PLU (i) permet à ses auteurs de définir un périmètre d’interdiction provisoire, de restriction voire d’interdiction de construction sur un secteur. Le périmètre d’attente d’un projet d’aménagement global (Papag) est une servitude, prévue à l’article L 151-41 du Code de l’urbanisme, inscrite dans le zonage du document d’urbanisme qui « fige » les constructions dans l’attente d’un projet d’aménagement sans bénéficiaire ou destination précise. Ainsi, le règlement délimite des terrains sur lesquels sont instituées, dans les zones urbaines et/ou à urbaniser, des servitudes interdisant les constructions ou installations d’une superficie supérieure à un seuil défini par le règlement pour une durée de cinq ans au plus dans l’attente de l’approbation par la commune d’un projet d’aménagement global. Ces servitudes ne peuvent toutefois pas avoir pour effet d’interdire les travaux ayant pour objet l’adaptation, le changement de destination, la réfection ou l’extension limitée des constructions existantes. En outre, la collectivité territoriale qui porte le PLU (i) ou son évolution visant à instaurer le Papag doit justifier l’instauration de cette servitude dans son rapport de présentation.
Toutefois, si la planification est essentielle, elle n’est souvent pas suffisante pour gérer la temporalité des interventions des opérateurs privés.
Les sursis à statuer prévus à l’article L424-1 du Code de l’urbanisme
Le Code de l’urbanisme rassemble à l’article L424-1 l’ensemble des hypothèses dans lesquelles il est possible de surseoir à statuer, à savoir prendre une mesure de sauvegarde, qui consiste pour l’autorité administrative compétente à différer sa réponse à une demande d’autorisation d’occupation des sols, dans l’attente. La durée maximale d’un sursis à statuer est, en principe, de deux ans. À l’expiration de ce délai, l’autorité administrative ne peut opposer à une même demande d’autorisation un nouveau sursis, que si des motifs différents rendent possible l’intervention d’une nouvelle décision de sursis à statuer. Dans cette hypothèse, la durée totale des sursis ne pourra en aucun cas excéder trois ans.
Opposer un sursis à statuer implique une obligation de motivation de sorte que son destinataire puisse « à la seule lecture de la décision » en connaître les motifs et donc être suffisamment éclairé. Il existe plusieurs hypothèses dans lesquelles l’autorité administrative est en droit d’opposer un sursis à statuer.
En cas d’élaboration ou de révision d’un PLU (i), l’autorité compétente peut décider de surseoir à statuer, sur les demandes d’autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan, dès lors qu’a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durable. En revanche, cet outil n’est pas prévu en cas de mise en œuvre d’une modification simplifiée ou de droit commun, ou d’une mise en compatibilité des règles d’urbanisme. Dans ce cadre, le sursis à statuer permet de faire respecter un parti d’aménagement ambitieux ou courageux. Le juge a pu valider son application même sur des projets de taille modeste, comme une maison individuelle, dès lors que le parti d’aménagement le justifie (CAA Lyon, 16 mai 2023, n°22LY02859, 22LY02860, s’agissant d’un parti d’urbanisme de restructuration de l’habitat d’une commune rurale de faible taille et supportant un habitat dispersé composé de nombreux hameaux).
Le sursis à statuer est également applicable dans le cadre d’une déclaration d’utilité publique d’une opération, dès la date d’ouverture de l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique d’une opération, ainsi qu’à compter de la publication de l’acte créant une zone d’aménagement concerté.
Les périmètres d’étude ou de prise en considération
Dans le cadre de l’exécution de travaux publics ou dans le périmètre d’étude d’une opération d’aménagement, l’autorité compétente peut prendre en considération, par délibération de son assemblée délibérante, la mise à l’étude d’un projet. Cela implique que les terrains affectés par ce projet aient été délimités, de manière précise, par cette délibération. L’autorité d’urbanisme peut alors régulièrement opposer un sursis à statuer à une demande d’autorisation d’occupation des sols, sur l’un des terrains identifiés par le maître de l’ouvrage public, si son exécution est susceptible de compromettre ou de rendre plus onéreuse la réalisation du projet d’ouvrage ou d’aménagement public.
La décision de prise en considération cesse de produire effet si, dans un délai de dix ans à compter de son entrée en vigueur, l’exécution des travaux publics ou la réalisation de l’opération d’aménagement n’a pas été engagée.
Le sursis à statuer des projets artificialisants
L’article 6 de la loi n° 2023-630 du 20 juillet 2023 crée un nouveau sursis à statuer applicable aux projets qui pourraient compromettre l’atteinte des objectifs de réduction de la consommation d’espaces naturels, agricoles et forestiers (Enaf) susceptibles d’être fixés par le document d’urbanisme en cours d’élaboration ou de modification durant la première période décennale prévue par la loi Climat et résilience (2021-2031) 1.
Le sursis à statuer doit être motivé par le risque que l’autorisation d’occupation des sols sollicitée compromette l’atteinte des objectifs de réduction de la consommation prévus, soit du fait de son ampleur, soit du fait de la faiblesse des capacités résiduelles de consommation, au regard des objectifs de réduction susceptibles d’être fixés par le document d’urbanisme en cours d’élaboration.
La loi limite la possibilité de refuser l’octroi d’une autorisation d’occupation des sols aux seuls projets dont l’impact n’est pas compensé par une action de renaturation d’une surface au moins équivalente à l’emprise du projet. En outre, le sursis à statuer ne pourra être ni prononcé ni prolongé après l’approbation du document d’urbanisme intégrant les objectifs territorialisés de lutte contre l’artificialisation des sols ; soit, pour l’instant, au plus tard le 22 février 2028.
En conclusion, les personnes publiques disposent donc d’outils juridiques pour maîtriser l’aménagement de leur territoire, même si elles ne sont pas à l’initiative de certains projets urbains. Rien n’empêche cependant de leur préférer un urbanisme négocié en amont pour faire évoluer de façon itérative la règle et le projet, même si la première doit prévaloir, et rester stable et cohérente dans ses grandes lignes.
Par Me Ségolène Cognat, avocat au Barreau de Grenoble.