Depuis la loi pour l’initiative économique du 1er août 2003, le législateur a souhaité protéger la résidence principale de l’entrepreneur individuel, en cas de liquidation judiciaire, en la rendant insaisissable, par déclaration notariée. Ce régime dérogatoire a connu plusieurs simplifications depuis, mais continue d’alimenter la jurisprudence.
Le créateur d’entreprise a le choix entre l’entreprise individuelle et la forme sociétaire. Cela va conditionner sa protection sociale, son régime d’imposition, l’étendue de sa responsabilité, la possibilité de s’ouvrir à des partenaires financiers et les modalités de sa transmission éventuelle. Le choix de l’entreprise individuelle, qui représente environ 70 % des entreprises, se caractérise par une absence de distinction entre l’entreprise et celui qui la gère.
Ce choix a, en matière patrimoniale, de lourdes conséquences, puisque le patrimoine de l’entreprise et celui de l’entrepreneur se trouvent confondus, en application du principe de l’unicité de patrimoine posé par le Code civil.
La responsabilité de l’entrepreneur individuel, contrairement à la forme sociétaire, est illimitée, et elle se trouve donc engagée sur l’ensemble de ses biens professionnels et personnels, créant un véritable climat d’insécurité, surtout en période de difficultés économiques. Est apparue alors l’idée de protéger une partie du patrimoine de l’entrepreneur individuel. Cela a été matérialisé par la loi pour l’initiative économique du 1er août 2003, qui vise à ne protéger qu’un seul bien, et souvent le plus important : la résidence principale de l’entrepreneur. Ce dispositif vient déroger au principe énoncé par les articles 2284 et 2285 du Code civil aux termes desquels « les biens du débiteur sont le gage commun de ses créanciers ».
La procédure de départ obligeait à un acte positif de l’entrepreneur. Il devait faire une déclaration devant un notaire, afin de rendre insaisissable sa résidence principale. La loi soustrait alors l’immeuble du patrimoine constituant le gage des créanciers.
Elle rend insaisissables les droits sur la résidence principale à l’égard des créances nées « à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant », après la date de publication de la déclaration notariée au bureau des hypothèques.
Cette protection de la résidence principale est offerte à tous les entrepreneurs en nom propre, qu’ils soient commerçants, artisans, agriculteurs ou encore professionnels libéraux.
L’évolution du régime de l’insaisissabilité de la résidence principale
La loi du 4 août 2008 a élargi cette possibilité à tous les biens immobiliers de l’entrepreneur. La loi du 1er juillet 2011 a permis à l’entrepreneur d’opter pour le statut d’EIRL (entreprise individuelle à responsabilité limitée), permettant de distinguer le patrimoine professionnel de son patrimoine personnel. Simplifiant ce régime, la loi du 6 août 2015 (dite loi Macron) a instauré l’insaisissabilité de plein droit, sans aucune formalité, de la résidence principale des entrepreneurs individuels. Parachevant ce régime, a été créé le nouveau statut de l’entrepreneur individuel, le 15 mai 2022 : tous les entrepreneurs individuels sont dotés d’un double patrimoine : un patrimoine professionnel, qui répond des dettes nées pour les besoins de l’activité, et un patrimoine privé, qui répond des dettes domestiques.
Le régime actuel de l’insaisissabilité de la résidence principale
Aujourd’hui, l’article L.526-1 du Code de commerce dispose que « … les droits d’une personne physique immatriculée au registre national des entreprises sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables ». Cette insaisissabilité est opposable à tous les créanciers dont les droits sont nés à l’occasion de l’activité de l’entrepreneur. Il y est précisé que lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel reste de droit insaisissable.
L’entrepreneur peut aussi déclarer insaisissables ses droits sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, qu’il n’a pas affecté à son usage professionnel. Le législateur a prévu des exceptions pour certains créanciers : l’administration fiscale pourra poursuivre sur l’ensemble des biens de l’entrepreneur, lorsqu’elle relève des manœuvres frauduleuses ou l’inobservation grave et répétée de ses obligations fiscales.
Les précisions de la jurisprudence concernant le régime de l’insaisissabilité de la résidence principale
Mais cette simplicité n’est finalement que d’apparence, car ce régime dérogatoire continue de poser, dans les faits, de nombreuses questions. Déjà, l’entrepreneur individuel doit démontrer qu’à la date de l’ouverture de la procédure collective, l’immeuble constitue bien sa résidence principale et n’est donc pas entré dans le gage commun des créanciers.De plus, ce régime vient se heurter au droit des procédures collectives (entreprises en difficulté).
Une jurisprudence récente nous apprend que, pour les procédures collectives ouvertes après le 8 août 2015, date d’entrée en vigueur de la loi Macron, et en cas de mélange dans les dates de naissance des créances avant et après le 8 août 2015, l’insaisissabilité de la résidence principale est opposable au liquidateur (Cour de cassation, chambre commerciale, arrêt du 13 avril 2022).
Ainsi, l’insaisissabilité n’est pas de droit pour les toutes dettes antérieures au 8 août 2015, et la résidence principale peut être alors saisie par le liquidateur. Fort heureusement, ce cas de figure va progressivement disparaître, les créances antérieures à cette date devenant de plus en plus rares.
Le régime de l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur à l’épreuve du mariage ou du divorce
Concernant l’entrepreneur marié sans contrat, et donc sous le régime de la communauté, ces dispositions se heurtent au droit du régime matrimonial et du divorce, et au régime juridique du logement de la famille.
En application de l’article 1421 du Code civil, l’entrepreneur individuel marié peut librement administrer et disposer des biens communs à vocation professionnelle, sauf exceptions concernant certains actes sur certaines catégories de biens. Concernant le logement familial, il s’agit très souvent du seul bien de valeur du patrimoine personnel, et il appartient généralement en commun aux époux. Ayant une importance décisive pour la vie familiale, il est, à ce titre, protégé par l’article 215 du Code civil qui dispose qu’un époux ne peut unilatéralement « disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille ». Mais pour toutes les dettes que l’un des époux peut engager durant sa vie maritale, celui-ci peut exposer l’ensemble des biens communs à la saisie des créanciers, dont le logement de la famille, qui est donc saisissable.
En tout cas, si le logement familial constitue la résidence principale de l’entrepreneur, il reste parfaitement protégé contre les créanciers de l’activité professionnelle. Cependant, une récente décision de la chambre commerciale de la Cour de cassation nous montre que cette protection peut être mise à mal dans le cadre d’une procédure de divorce (arrêt du 18 mai 2022). En effet, saisi au titre des mesures provisoires dans le cadre d’un divorce, le juge aux affaires familiales peut attribuer la jouissance du logement familial au conjoint de l’entrepreneur. L’époux entrepreneur doit donc quitter le logement familial. En conséquence, sa résidence principale n’est plus située dans la maison appartenant aux deux époux.
S’il est mis en liquidation judiciaire, les droits qu’il détient sur ce bien immobilier peuvent être saisis par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de son activité professionnelle. Ainsi, l’époux désireux de continuer à occuper le logement familial, peut s’en voir radicalement privé par une saisie ultérieure, du fait des dettes professionnelles de son conjoint…
Les mesures provisoires prises dans le cadre d’une procédure en divorce peuvent donc amener à la perte de la protection de l’insaisissabilité de la résidence principale de l’entrepreneur…
Il convient donc d’être extrêmement vigilant car la protection de la résidence principale de l’entrepreneur n’est finalement pas sans exception.
Par Me Julien També, avocat au Barreau de Grenoble.