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Mille trois cents personnes sont entrées dans le palais de justice de Grenoble, ce 3 octobre en soirée. La Nuit du droit qui leur était proposée fourmillait de sollicitations. De reconstitutions d’audience en conférences, de stands en animations, les Grenoblois y ont trouvé matière à connaissances et à découvertes. Sur la justice administrative, par exemple.

Les juges du tribunal administratif de Grenoble siégeaient exceptionnellement au palais de justice. Leurs locaux sont situés place de Verdun.

Madame Étourdie porte bien son nom. Ne l’a-t-on pas aperçue, au matin d’un jour qu’on imagine brumeux, devant les urgences d’un hôpital qui en est doté se plaignant d’avoir avalé son appareil dentaire lors d’un songe par trop agité? Elle est naturellement prise en charge par un personnel compétent. C’est ensuite que les choses se gâtent : l’examen pratiqué, une endoscopie – examen d’ailleurs superflu, l’objet étant demeuré sur sa coutumière table de nuit -, s’est soldé par une perforation de l’estomac. Dont elle demande raison à la justice.

C’était l’exemple – tiré de faits adaptés pour les besoins de la représentation – choisi pour présenter une audience fictive du tribunal administratif, l’une des – très- nombreuses animations proposées au public lors de la Nuit de la justice de ce 3 octobre.

Le magistrat qui occupe la fonction de rapporteur ouvre les débats de l’audience administrative.

L’occasion de faire plus ample connaissance avec la juridiction administrative. Car c’est elle qui est compétente, dès lors que c’est une administration qui est attaquée. Un hôpital, les finances publiques, une collectivité locale… Approche instructive : la justice administrative a ses règles propres. Point de procureur représentant la société pour demander une sanction réparatrice au présumé coupable d’une infraction. Là, c’est un rapporteur public – notre époque girondine a remplacé le terme jugé tonitruant de commissaire de la République – qui fait part de son analyse du dossier en faits et en droit devant des magistrats qui devront prendre la décision finale. Devant la justice administrative, la procédure est essentiellement écrite, à l’inverse de celle qui prévaut dans la justice judiciaire. Les magistrats se réfèrent aux documents qui ont été formés par les parties en présence. Le rôle des avocats est par suite lui aussi différent, ce qui ne veut pas dire mineur : la plaidoirie est constituée d’observations qui renvoient aux écritures qui figurent au dossier.

A l’issue du procès fictif, le public a pu s’entretenir avec les avocats qui ont plaidé au cours de l’audience.

Dans la procédure initiée par madame Étourdie – dont on a compris que le nom relevait de l’imagination des organisateurs de la représentation -, les juges administratifs devaient statuer, en s’appuyant sur des expertises, sur le bien-fondé de l’examen pratiqué (une radio aurait-elle pu suffire?), sur le niveau d’information délivré à la patiente quant aux risques possibles de cet examen (était-on dans une urgence qui aurait justifié la brièveté d’un énoncé, a-t-on tout dit, l’a-t-on dit correctement?) et enfin sur la qualité du suivi médical pratiqué à l’issue de l’examen (aurait-on pu mieux prendre en charge la perforation advenue?). De la réponse à ces questions découle en effet un niveau d’indemnisation pour la présumée victime – même si rien ne lui serait arrivé si elle était resté au chaud à la maison.

David Roguet, bâtonnier de l’ordre des avocats, et Pascale Vernay, Première présidente de la cour d’appel.

Le public a pu mesurer au fil de cette audience reconstituée combien s’évalue précisément cette indemnisation et comment travaillent les magistrats, notamment à partir d’expertises et de rappels de la jurisprudence, par exemple pour apprécier la notion de « perte de chance » de la plaignante. Notion juridique d’un maniement complexe pour le profane : en l’occurrence, il s’agissait de fixer le pourcentage de cette perte en mesurant l’effet de la décision de réaliser une endoscopie en termes de réduction des chances d’une amélioration de la santé de madame et/ou d’une augmentation des chances de sa dégradation. Un chiffre qui déterminera l’ensemble des éventuelles indemnisations liés aux différents préjudices constatés.

L’exposition présentée par le Secours catholique.

Cette audience administrative était l’une des nombreuses propositions de la soirée. Le public ne s’y est pas trompé : 1300 personnes sont venues découvrir la justice sous un jour inhabituel. Les institutions judiciaires avec leurs magistrats et personnels des tribunaux, mais aussi la justice dans la globalité des services qui en sont partie prenante, des forces de polices et de gendarmerie en passant pas l’administration pénitentiaire jusqu’aux associations qui œuvrent à prévenir la délinquance. On a pu ainsi assister à des conférences sur les mineurs en situation de prostitution, la coparentalité, l’accident grave de ski, le divorce… à des reconstitutions d’audience avec celle d’une comparution immédiate devant le tribunal correctionnel sans oublier les stands comme celui des experts-comptables ou des douanes qui présentait une équipe de chien utile à déceler la présence de stupéfiants. On n’oubliera pas de noter l’exposition présentée par le Secours catholique sur la réalité des conditions de vie en prison, exposition installée dans le palais de justice sur proposition de la présidence du TGI de Grenoble et qui sera prochainement visible à la maison de l’avocat.

Un succès, à n’en pas douter. L’an dernier, l’événement avait été présenté comme exceptionnel, lié au 60e anniversaire de la Constitution de 1958. Le succès de 2018 a entraîné la réitération de cette année. Gageons que c’est une longue série qui a débuté : les citoyens et notamment les jeunes lycéens et étudiants, ont apparemment soif de rencontrer ceux qui établissent les faits et font la justice au quotidien.