Publié le , rédigé par Me Louis Giordano, Me Stéphane Cadeau-Belliard
Pour ce premier volet, nous nous attacherons à dresser une cartographie des principales mesures de la loi de finances pour 2024, intéressant les particuliers.
L’actualité fiscale intéressant les particuliers est marquée, cette année encore, par la volonté de poursuivre le cheminement programmé de la transition énergétique qui, à grand renfort de subventions en faveur de l’électrification, laisse craindre, si les autres postes de dépense ne sont pas suffisamment maîtrisés, que nous conservions encore quelque temps notre statut mondial de lanterne rouge en matière de gestion des finances publiques (nous sommes en effet désormais le premier contributeur à la dette publique de l’Union européenne et le numéro un mondial du ratio dépenses publiques sur PIB).
Ce constat un peu inquiétant se double du suivant : la France a également acquis le premier rang mondial s’agissant du ratio prélèvements obligatoires sur PIB. Et ce ne sont pas les 6 milliards estimés de « cadeau » apparent d’impôt sur le revenu 2023 qui devraient changer quelque chose, ce chiffre ne traduisant en effet que l’impact de la dernière mesure d’ajustement technique des tranches du barème de cet impôt destinée à neutraliser autant que possible les effets de l’inflation.
Plus concrètement, ce premier article propose un tour d’horizon des principales nouveautés fiscales figurant dans la loi de finances pour 2024 pour les contribuables personnes physiques.
Des mesures concernant l’automobile
et l’impôt sur le revenu
Ainsi qu’évoqué, la fiscalité écologique est tout d’abord à la fête. Au-delà des dispositions contenues dans la loi du 23 octobre dernier relative à l’industrie verte faisant vœu pieux de réindustrialiser la France, tout en assurant la transition écologique et qui, à cette fin, intègre une batterie de mesures relatives à la planification des implantations industrielles, la loi de finances pour 2024 instaure quant à elle un certain nombre d’évolutions pénalisantes du malus à l’immatriculation qui, outre l’alourdissement du barème de la taxe sur les émissions de CO2 dont le montant maximal sera porté à 60 000 euros sans plus pouvoir être plafonné à 50 % du prix du véhicule, aggrave également le barème de la taxe au poids dont le seuil de déclenchement sera désormais fixé à 1,6 tonne.
Après avoir dopé les ventes de modèles électriques et hybrides (représentant tout de même un quart des véhicules vendus en France en 2023), l’exemption de malus ne bénéficiera plus à aucun véhicule hybride à compter de 2025 et le bonus à l’achat de certaines voitures électriques deviendra quant à lui un peu moins incitatif en se voyant abaissé de 5 000 à 4 000 euros.
Autre mesure évoquée qui concernera directement tous les contribuables, la dernière loi de finances revalorise les limites de toutes les tranches du barème progressif de l’impôt sur le revenu à hauteur d’un taux important de 4,8 % (contre 5,4 % l’an passé) témoignant de la vigueur de l’inflation encore supportée au cours de l’année écoulée, même s’il demeure toujours regrettable que les autres impositions barémisées, telles que les droits de succession et surtout l’impôt sur la fortune, ne soient quant à elles pas réajustées… Par ailleurs, une revalorisation de ce niveau est probablement la dernière, la Banque centrale européenne s’attendant à ce que l’inflation continue à refluer pour atteindre son niveau cible de 2 % devant conduire à une première baisse des taux d’intérêt directeurs à compter de l’été.
Des mesures concernant
la fiscalité patrimoniale
Au-delà, la loi de finances pour 2024 est surtout marquée par quelques mesures propres à impacter l’actualité fiscale patrimoniale avec notamment, comme pour dénouer certains des contentieux nés ou à naître en matière de pacte Dutreil, une triple intervention dont la portée réelle est surtout de légaliser une partie de la doctrine administrative en vigueur.
Tout d’abord, par voie d’amendement, le gouvernement aura aussitôt refermé la porte entre-ouverte par le Conseil d’État qui, saisi d’un recours pour excès de pouvoir à l’encontre de la doctrine administrative, avait estimé dans un arrêt du 29 septembre 2023 que les activités de locations meublées à usage d’habitation ne devaient pas souffrir d’une incompatibilité de principe avec le pacte Dutreil (dont on rappelle que l’exonération partielle de droits de mutation qu’il autorise ne peut normalement porter que sur les titres de sociétés ayant une activité de type opérationnelle, à l’exclusion donc des activités considérées comme civiles). Avant même que la pratique ait eu véritablement le temps de s’interroger sur les critères de « commercialité » des activités de locations meublées, ce que la haute juridiction ne précisait pas, le gouvernement aura donc immédiatement réagi en faisant graver dans le Code général des impôts la règle d’exclusion des activités de gestion par les entreprises de leur propre patrimoine mobilier ou immobilier qui n’apparaissait jusqu’alors que dans sa doctrine, précision excluant désormais sans ambages les locations meublées si elles ne s’accompagnent pas de prestations de services hôteliers.
Ensuite, le législateur est venu entériner l’éligibilité au pacte Dutreil des sociétés exerçant une activité mixte, c’est-à-dire opérationnelle et patrimoniale, pour autant toutefois que leur activité opérationnelle demeure prépondérante en considération d’un faisceau d’indices déterminé d’après la nature de l’activité et les conditions de l’exercice (notamment en cas de prépondérance du chiffre d’affaires et de l’actif brut relatifs à l’activité opérationnelle).
Enfin, la loi consacre expressément l’éligibilité au pacte des sociétés dites holdings animatrices à titre prépondérant tout en en donnant une première définition légale qui se contente cependant de reprendre celle autour de laquelle s’accordait déjà la jurisprudence, à savoir les holdings ayant pour activité principale la participation active à la conduite de la politique de leur groupe constitué de sociétés contrôlées directement ou indirectement exerçant une activité opérationnelle et auxquelles elles rendent le cas échéant et à titre purement interne des services spécifiques, administratifs, juridiques, comptables, financiers et immobiliers.
Focus sur l’impôt
sur la fortune immobilière
Pour dérouler encore un peu le fil de l’actualité patrimoniale, la loi de finances pour 2024 retouche les modalités de calcul de la valeur des titres de sociétés taxables à l’impôt sur la fortune immobilière (IFI).
Jusqu’à présent, cette valeur « IFI » était déterminée dans les conditions habituelles d’évaluation de la valeur vénale des parts ou actions de sociétés, c’est-à-dire en prenant en compte toutes les dettes figurant au bilan (à l’exception notable, mais bien délimitée en pratique, de certains emprunts immobiliers devant faire l’objet de retraitements en présence de situations potentiellement abusives d’endettement à soi-même ou d’endettement perpétuel), avant d’appliquer sur la valeur ainsi obtenue le coefficient immobilier de la société.
Rompant avec cette logique fondamentale d’évaluation des titres à leur valeur vénale, le nouveau paradigme initié par la loi de finances est désormais celui d’une interdiction de déduire tout endettement qui n’est pas afférent à des actifs immobiliers imposables… Avec une précision salutaire tant cette nouvelle mesure « anti-abus », déjà sujette à de vives controverses, aurait pu conduire à des situations déséquilibrées : la valeur imposable des titres ainsi déterminée pour les besoins de l’IFI sera plafonnée au plus faible des montants constitués par la valeur vénale des titres déterminée dans les conditions de droit commun ou par la valeur vénale nette des actifs immobiliers imposables de la société.
Dans un pays déjà réputé pour le nombre et la complexité de ses lois fiscales, sans doute la plupart des contribuables espéraient-ils que la loi de finances pour 2024 eût été synonyme de simplification. Las… le nombre de dispositions de cette loi nées d’amendements déposés in extremis témoigne d’une certaine précipitation sinon impréparation risquant, à terme, de complexifier encore les mécanismes d’imposition.