Publié le , rédigé par Me Adeline Golvet
L’interdiction de remise systématique des tickets de caisse votée le 10 février 2020, soulevant de nombreuses difficultés au regard de la protection du consommateur et de ses données personnelles, est-elle finalement une « fausse bonne idée » ?
« Le consommateur devra être particulièrement attentif au moment de son passage en caisse et, plutôt que de refuser systématiquement une impression de son ticket, adapter sa réponse à ses besoins. » Plus de 30 milliards de tickets de caisse sont imprimés chaque année 1, souvent jetés immédiatement après le passage en caisse.
Dans un objectif de protection de l’environnement, la loi 2020-105 du 10 février 2020, dite loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire, a adopté une série de mesures pour réduire l’impact environnemental, parmi lesquelles l’interdiction de remise systématique des tickets de caisse et de cartes bleues, à compter de 2023 2, dont la mise en œuvre a été reportée de nombreuses fois.
La suppression du ticket de caisse, sous certaines conditions
Le principe posé par le Code de l’environnement est, depuis le 1er août 2023, l’interdiction de remise de ticket imprimé sauf demande expresse du client. Cette interdiction vaut pour :
– les tickets de caisses ;
– les tickets de carte bancaire ;
– les tickets remis par les automates ;
– les bons d’achat et les tickets visant à la promotion et à la réduction des prix.
Cette interdiction suppose une information préalable du client, par le biais d’un affichage obligatoire par les professionnels, à l’endroit où s’effectue le paiement, « de manière lisible et compréhensible que, sauf exception légale, l’impression et la remise des tickets de caisse et de carte bancaire ne sont réalisées qu’à sa demande » 3.
Les exceptions introduites par le décret d’application 4 concernent notamment :
– Les opérations de paiement par carte bancaire, annulées ou n’ayant pas abouti,
– Ou encore les tickets de caisse sur lesquels sont mentionnées l’existence et la durée de la garantie légale de conformité. En effet, le professionnel est tenu d’informer par écrit le consommateur sur la garantie de conformité 5, pour différents produits tels que notamment les appareils électroménagers, les équipements informatiques, les produits électroniques grand public, les appareils de téléphonies 6…
Pour les produits entrant dans le champ des exceptions, le commerçant doit impérativement remettre un ticket au consommateur.
En revanche, pour tous les autres produits, notamment les produits dits « du quotidien », comme les produits alimentaires ou les vêtements, la remise du ticket dépend de la demande du client, qui peut à son choix :
– ne pas obtenir de ticket ;
– obtenir un ticket sous forme papier ;
– obtenir un ticket sous forme dématérialisée, si toutefois le commerçant propose cette option.
Chacune de ces propositions emporte son lot de bénéfices et de risques, et le choix fait par le consommateur peut entraîner des conséquences non négligeables.
Pas de ticket, pas de preuve d’achat !
Pour les produits du quotidien, la règle est l’absence de ticket, ce qui signifie que si le consommateur ne demande pas expressément son ticket de caisse, il n’aura aucun justificatif d’achat et sera ainsi privé de la possibilité de faire valoir ses droits.
En l’absence de ticket, comment vérifier les montants des produits lors du passage en caisse ? Comment prouver une incohérence entre le prix affiché et le prix réellement payé ? Comment par conséquent obtenir le remboursement du trop payé ?
Mais encore, sans justificatif d’achat, comment obtenir un échange de produit dans les enseignes le permettant ?
En matière de garantie légale de conformité, le justificatif d’achat est impératif. Cette garantie, due pour tout produit vendu par un commerçant à un consommateur 7, prévoit que le commerçant est dans l’obligation de répondre des défauts de conformité antérieurs à l’achat, pendant une période de deux ans. Si un défaut de conformité est constaté, le consommateur est en droit d’exiger le remplacement, la réparation, la réduction du prix ou la résolution du contrat. Comment le consommateur peut-il faire valoir ses droits s’il n’est pas en mesure de fournir une preuve d’achat ?
La même difficulté survient en cas de rappel de produits : dans l’hypothèse où le consommateur aurait omis de solliciter son ticket de caisse, comment pourra-t-il justifier de l’achat effectué, et se faire rembourser ?
Ainsi, le consommateur devra être particulièrement attentif au moment de son passage en caisse, et plutôt que de refuser systématiquement une impression de son ticket, adapter sa réponse à ses besoins, et notamment aux produits achetés.
En effet, en oubliant ou en refusant la remise d’un ticket au moment de l’achat, le client refuse en quelque sorte, par avance, de se prémunir des garanties légales et commerciales offertes par le commerçant.
Le consommateur doit-il alors, pour être protégé, systématiquement demander son ticket de caisse, a minima sous format dématérialisé ?
Le ticket dématérialisé, une bonne idée pour se protéger ?
Certains commerçants peuvent, s’ils le souhaitent, proposer la remise d’un ticket sous forme dématérialisée, notamment par SMS, e-mail ou QR code. Cela semble donc être la solution parfaite : pas d’impression, tout en ayant un justificatif d’achat.
Selon la Cnil 8, la suppression du ticket de caisse reste l’option la plus respectueuse en matière de données personnelles. En effet, afin de pouvoir envoyer un ticket de caisse dématérialisé, presque toutes les solutions nécessitent la collecte de données personnelles (l’adresse e-mail ou le numéro de téléphone), devant être encadrée.
Afin d’informer correctement le consommateur du traitement de ses données personnelles et notamment de l’identité du responsable de traitement et les objectifs poursuivis, la Cnil recommande un affichage en caisse, ainsi qu’un éventuel rappel à l’oral par le caissier, ou une information directement sur l’interface des caisses automatiques.
Le professionnel doit prévoir un renvoi, par exemple par le biais d’un QR code, vers sa politique de confidentialité, détaillant la collecte et l’utilisation des données personnelles du consommateur, ainsi que la manière dont il peut exercer ses droits. Afin de minimiser les collectes de données personnelles, la Cnil recommande de permettre d’accéder au ticket dématérialisé par le scan d’un QR code, pour lesquelles seules les données nécessaires à l’établissement de la connexion, comme l’adresse IP, sont collectées.
En cas de collecte de l’adresse e-mail ou du numéro de téléphone, le professionnel devra être particulièrement vigilant quant au respect des règles applicables, notamment en matière de la prospection commerciale.
En effet, lorsqu’une personne est déjà cliente, le commerçant peut lui adresser des sollicitations commerciales sans avoir besoin de recueillir son consentement, sous réserve que :
– La prospection soit pour des produits et services similaires fournis par la même entreprise,
– Et que la personne prospectée ait été informée et mise en mesure, au moment de la collecte de ses données, de s’opposer à la prospection.
Les professionnels devront être particulièrement prudents dans l’utilisation des données collectées lors de passages en caisse, souvent expéditifs, pour des opérations de prospection. Les tickets de caisse dématérialisés font partie des quatre thématiques de contrôle prioritaire de la Cnil en 2024.
Par Me Adeline Golvet, avocate au Barreau de Grenoble.